"Je peux très bien y aller, dis-je.
- Toi, oui, si tu n'avais pas peur d'y habiter seul, répliqua mon père avec malice.
C'était justement de mon courage que j'étais le plus fier ; le héros en moi se cabra donc immédiatement.
- Je connais beaucoup de choses, sauf la peur, répondis-je catégoriquement. Je suis capable de traverser n'importe quelle forêt et même d'y habiter courageusement, même tout seul !
Mon père n'attendait que cela, car à l'instant même, il s'abattit sur moi comme sur un oiseau.
- Bien parlé ! Demain nous nous y rendrons et tu pourras y habiter.
- Où irons-nous demain ?
- Nous ? Sur le Hargita, dans une petite maison. Hier, des messieurs de la banque sont venus chasser dans la forêt domaniale, et je t'ai fait engager chez eux comme garde forestier, dans la forêt de la banque, celle qui est sur le Hargita. Tu recevras même un salaire, à condition que tu n'aies vraiment pas peur d'habiter là-haut, tout seul.
Sur le coup, je ne pus rien répondre, je rentrai seulement la tête entre les épaules et je battis des paupières comme une grenouille."
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"Les montagnes en deuil étaient enveloppées dans un manteau, et chaque nuage s'y accrochait comme une barbe : le ciel brillait d'un visage couleur cendre, et les gouttes de pluie brillaient en grande abondance sur les arbres, comme si des bourgeons d'argent s'étaient déployés."
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" Nous avons eu une belle journée claire, mais cela aurait pu être de la pluie et de la boue d'automne, car nous avons eu la chance de naître."
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Il se débarrassa de sa sacoche et il la posa sur la table. Il s’y assit, mais il faillit tomber de la chaise branlante, dont les pieds et le dossier étaient d’un noisetier effilé et le siège de sarments.
"Cette chaise, au moins, connaît la musique, notai-je.
"Pourquoi?" demande le directeur.
"Parce qu'elle s'agenouille dès qu’elle voit un grand seigneur.»
"Cette table n'est pas meilleure", ajouta-t-il.
"Elle peut attendre longtemps nos compliments, renchéris-je.
Il me promit que, dès le lendemain, il m’enverrait une meilleure table et une meilleure chaise.
–Ils n'ont pas voulu lui accorder leur fille, alors qu'ils s'aimaient très fort. Ils ont décidé de passer devant le curé en bravant le monde. Hier matin, le gendarme a loué une charrette, ils y sont montés tous les deux, ils se sont rendus en cachette en ville, chez le prêtre, qui les a mariés. Ils n'ont pas organisé de noces, ils se sont retirés dans cette petite maison. Quelqu'un n'a pas dû le supporter et l'a incendiée.
Je lui fis signe de ne pas m'en dire plus. J'avais tout compris.
Bouleversé, je restais là, longuement. Je regardai la couverture blanche je vis les deux martyrs, couchés dans la paix éternelle. Qui proclamaient –aussi bien à la terre sur laquelle ils étaient couchés qu'aux hommes qui s'y tenaient debout– l'idée de la Transylvanie.
Je ne pus les quitter qu'à l'aube. Alors, je m'en allai vers les champs couverts de lumière aurorale et, dans ma marche, je regardais ces deux étoiles qui brillaient, toutes deux, d'une lueur triste et extraordinairement belle au-dessus de la terre de Transylvanie.
(p. 150–151, extrait "d' Étoile de Transylvanie")
Mais que vaut une idée, si intéressante soit-elle, s'il n'y a personne à qui la dire ?