En présence des curieux renseignements que renferment les notices biographiques contenues dans ces deux volumes, on se demandera comment de tels trésors ont pu rester si longtemps ignorés et perdus pour les historiens de l'art ; comment MM. Dussieux, Soulié, de Chennevières , Mantz et de Montaiglon, tous cinq étrangers à l'école des Beaux-Arts, publient aujourd'hui des manuscrits enfouis depuis cinquante ans dans les cartons de cette école, et dont le plus grand nombre remonte après de deux siècles. Il y a là quelque chose de singulier et pourtant de bien facile à expliquer à ceux qui ont quelque idée des difficultés qui s'attachent en France à une publication relative aux arts et aux artistes.
L'art, disons-nous, est l'expression de l'état social; il est toujours en harmonie avec lui. En effet, pendant la décadence du monde païen, l'art païen tombe en décrépitude, et lorsque le christianisme succède au paganisme, l'art se modifie; l'art des Grecs, dégénéré et abâtardi comme la société, se rajeunit sous l'haleine bienfaisante de l'Évangile; et comme le règne du Christ était le règne de l'esprit, le triomphe de l'idée et de l'esprit sur la chair et la matière, l'art change la forme surbaissée et matérielle, et s'élance vers le ciel.
MADAME LE BRUN (Louise-Elisabeth Vigée), peintre de portraits, née en 1755, morte en 1842. Élève de son père et de Briard. — Madame Le Brun résida à Vienne, de 1793 à 1793; elle y fit 31 portraits à l'huile et 24 au pastel. Les personnes qu'elle peignit étaient en général des émigrés français et des étrangers de toutes nations, qui formaient la brillante société au milieu de laquelle elle vivait. Parmi les personnages autrichiens dont madame Le Brun fit le portrait, nous citerons les princesse Esterhazy et de Liechtenstein.
Le goût de l'Empereur pour la peinture fit bientôt naître celui des courtisans et se communiqua à toute la ville. Il se forma deux écoles qui eurent pour maîtres les PP. Attiret et Castiglione..
Attiret travailla pour les chrétiens, pour les églises, et fit plus de deux cents portraits de grands personnages de l'empire; aussi, surchargé de travail, il ne faisait que les esquisses et les chairs ; des peintres chinois faisaient le reste sous sa surveillance. Attiret avouait que pour les coiffures, les vêtements, les paysages, les animaux, les costumes du pays, les Chinois travaillaient plus facilement et plus vite qu'il n'aurait pu le faire lui même.
Parmi les causes si diverses qui ont contribué à augmenter l'influence de la France, il faut mentionner la renommée des grandes abbayes et des écoles de Cluny, de Clairvaux, de Prémontré, etc., où les étrangers venaient s'instruire dans les sciences sacrées et puiser le goût de l'art gothique : la célébrité de l'Université de Paris école suprême de toute l'Europe, où affluaient de tous les pays des milliers d'étudiants qui remportaient ensuite chez eux la connaissance de notre littérature, de nos poèmes de chevalerie et de notre langue, qu'on appelait au temps de saint Louis la parleure commune à tous.
Les philosophes modernes divisent l'histoire de l'humanité en époques organiques et critiques. Au vieux monde païen, au vieil empire
romain, souillé de tant d'immoralités et de cruautés, dégradé par la lèpre de l'esclavage, succède au Ve siècle , dans l'Europe occidentale, une nouvelle société, le monde chrétien, avec ses doctrines d'égalité, de fraternité , de charité, avec ses théories de vertu et de douceur. A une époque critique, de dissolution, succède une époque organique, de recomposition.
« Tous les faits de l'activité humaine sont classés, prévus, ordonnés par une théorie générale où le but de l'action sociale est nettement défini. » Et toutes les sociétés féodales qui composent l'Europe reconnaissent un seul chef, le pape , qui domine du haut de la chaire de saint Pierre l'immense famille chrétienne , et qui de là dirigeant les actions de tous , se sert de sa puissance pour maintenir la précieuse unité qu'il vient de fonder, mais qui doit être brisée plus tard.
Aussitôt que la France eut trouvé et manifesté les formes de son développement social, toute l'Europe se prit à l'imiter, à adopter sa littérature, à penser et à parler comme elle, à bâtir comme elle bâtissait ; l'Europe encore à moitié barbare se fit française autant qu'elle le put. A l'exception de quelques moments pendant lesquels la France a subi une influence extérieure, l'influence française s'est exercée sur l'Europe, et elle dure encore.