Eve Ruggieri présente "Chopin, l'impossible amour"
"Chopin ne joue pas comme les autres", note un critique, dès le lendemain. "Avec lui, on a l'impression que chaque note passe des yeux à l'âme et que l'âme la transmet à ses doigts."
A peine douze jours après le sacre de Medea, Maria, toujours à la Scala, revêt la robe sanglante de Lucia di Lammermoor sous la direction d'Herbert Von Karajan. Et sous une nouvelle pluie d'oeillets rouges, elle triomphe ! Elle s'est là encore inventée une couleur vocale pour cette Lucia qu'elle maîtrise parfaitement. Un timbre diaphane de femme atteinte psychologiquement, récréé par une voix qui paraît l'écho d'une voix. Des pianissimi qui, comme le dira Rodolfo Celletti, "semblent venir du plafond du théâtre, arrachés à la souffrance, torturés dans leur couleur, comme étranglés par l'émotion, lumineux plus véritablement colorés. Une Lucia de chair et de sang, d'amour et de haine, de frustration et d'exaltation comme la Scala n'en a jamais eu dans son histoire."
Et puis, au beau milieu de la sérénade que les villageois donnent pour la noce de l'un d'entre eux, transperçant le chant rustique des violons et des airs populaires, un cri a jailli de la maison : Justyna Krzyzanowska, l'épouse de Nicolas Chopin, vient de donner le jour à son deuxième enfant qui est son premier fils : Frédéric-François. Celui dont André Gide dira beaucoup plus tard : "Je ne pense pas que la musique ait encore jamais été aussi pénétrée de jeux de lumière, de murmures d'eau, de vent, de feuillages..."
À vingt ans, Mozart déborde plus que jamais de joie de vivre, de désirs professionnels et personnels, mais cache sous ce bouillonnement l’autre Mozart, celui auquel rien n’échappe. Mozart fraternel, qui avant de poursuivre dans cette voie s’arrête sur Francesco Fortini, un vieux castrat rescapé de quelles aventures… puis repêché par une troupe ambulante, pour lequel il va écrire le magnifique « Ombra felice !…. Io ti lascio » K.255 (« Ombre heureuse !… Je te quitte »), destiné à remplacer un air dans Arsace, un opéra de Michele Mortellari. Introduit par un récitatif absolument déchirant (écoutez Philippe Jaroussky), qui sur le mot « lascia » nous ramène, à chaque reprise du refrain, à son désespoir devant l’anéantissement de tous ses rêves de bonheur.
Ce n’était plus le « Divin » Mozart, par essence inaccessible, mais le plus attachant des êtres. Un messager qui avait le pouvoir de faire jaillir du désordre de nos sentiments ce qu’il y a de plus troublant, de plus inattendu, de plus pur. Mozart tellement libre, loyal, courageux, insolent, pratiquant avec délices un érotisme joyeux et mettant en musique cette mélancolie déchirante qui, dans sa retenue et son élégance, n’appartient qu’à lui.
En le jouant, en l’écoutant et en le réécoutant ; en me plongeant dans ses lettres, pleurant de rire devant ses impertinences ou de colère lorsque je le voyais humilié, méprisé, l’envie me vint de vous le présenter, tel qu’il m’est apparu, loin des pieux mensonges dont la légende l’a fardé et sans renier mes partis pris. Oui, j’aime Leopold et Constanze. Oui, je suis folle de Da Ponte dont le long fleuve agité de sa vie m’enchante comme les jeux de Wolfgang avec sa cousinette…
Pratiquement tout au long de sa carrière, Mozart devra affronter « ces médisants cruels et barbares ». Des combats d’arrière-garde face auxquels, dès son séjour parisien sans Leopold, où l’on a « oublié » de donner la partition de sa Symphonie concertante aux copistes, il a pris beaucoup de recul : « J’ai ici et là des ennemis. Mais où ne les ai-je pas eus ? » Pour le coup, il déteste Paris. « Je suis entouré de bêtes et d’animaux (pour ce qui est de la Musique). Comment pourrait-il en être autrement, d’ailleurs, ils ne se comportent pas autrement dans toutes leurs actions, amours et passions. Il n’y a pas de ville au monde comme Paris. […] Il faut que je tienne bon. »
Mozart, seul à Paris avec sa mère, souhaitait sans doute améliorer son écriture pour des lettres destinées à d’éventuels mécènes et autres personnalités officielles. Ce à quoi Leopold, sans trop se presser, répondait trois mois plus tard, par l’intermédiaire de son épouse : « Wolfg. veut un A, B, C, il n’aura pas beaucoup de temps à y consacrer. Voici quelque chose : A aa b c d ee […]. Je ne peux écrire très joliment aujourd’hui, la plume est mauvaise. »
Callas sur scène ne chantait pas Aïda, Lucia, Norma, Tosca ou Violetta, non, elle aimait, souffrait et mourait à chaque fois avec l'une d'entre elles.
On me place si haut que la chute sera terrible !
Ah ! les femmes… Ces belles amies qu’il adorait, plus particulièrement lorsqu’elles chantaient, sans se douter, les naïves, que c’était là, sur ce point précis, qu’il les attendait, leur écrivant certaines pages d’une telle difficulté qu’elles étaient – et sont toujours – quasiment réservées aux « acrobates de la voix ».