La Disgrâce de la Lyre
à Armand Silvestre
I
Lorsqu'aux doigts d'un mortel vibrait la grande Lyre,
O Muse,où sont les temps où pleuraient les lions,
Où dansaient les rochers, en proie au saint délire,
Sous le regard ému des constellations?
Eurydice rendue à la vie — O trophée
D'un poète vainqueur de l'Érèbe attendri !...
Pluton n'écoute plus les chants plaintifs d'Orphée :
La clémence infernale est un ruisseau tari.
Le chêne, inattentif aux Lyriques sublimes,
Ne penche plus le front pour entendre leurs voix,
lit le tigre royal, en quête de victimes,
Poursuit, indifférent, sa chasse, au fond des bois.
La foule, que ravit le jeu des saltimbanques,
Lorsque chante Erato, se met à rire, ou dort,
Ou court mêler ses cris a la rumeur des banques :
Là n'a jamais pleure le luth aux cordes d'or!
Pour les divins concerts l'homme n'a plus d'oreilles !
Pour les splendeurs du Beau le peuple n'a plus d'yeux!
De l'Art miraculeux dédaignant les merveilles,
L'humanité stupide a renié ses dieux...
Le temps créateur et dévorateur des formes transitoires
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Le Curé de Village
De longs cheveux sont blancs. Humble et plein de douceur
Il vit sa vie étroite au milieu de ses frères,
Les paysans, courbés aux durs travaux agraires.
Peu lui suffît ; pour gouvernante, il a sa soeur.
Sa paroisse, à l'abri du Vice envahisseur,
Dans l'amour du terroir et l'horreur des libraires,
Sous ses yeux paternels croît, loin des vents contraires.
II n'a rien du prophète. Il n'a rien du penseur.
Mais son oeil de vieillard, qui sourit et pardonne,
Dit une âme candide, aime, et que rien n'étonne ;
Et pour ce villageois j'éprouve un respect tel
Que mon coeur se réchauffe à sa rude parole,
Et que je pense voir, lorsqu'il monte à l'autel,
Autour de son front blanc frissonner l'auréole.
Avril 1884.
L'ALCHIMISTE
Aux sources du Danube,en pleine Forêt Noire,
S'ouvrait une caverne; la lugubre histoire,
Suspendu eaux lianes verts du mont,près d'un vieux pin,
Entre la roche a pic et le profond ravin.
Tout bruit donnait autour de cet autre sauvage
Et fumeux.—Un sorcier (comme on dit au village),
Alchimiste au front blanc, formidable écolier
D'Hermès, dans cette grotte avait son atelier.
Plus loin, dans un jardin perché sur la colline,
Des simples vénéneux végétaient: la sabine
Y roulait en buissons un feuillage noirci;
La svelte digitale y fleurissait aussi;
L'aconit bleu de cuivre, et la grande ciguë,
Et l'if, s'y mariaient avec l'ortie aiguë.
Une épaisse fumée au loin se répandait
En noirâtres flocons,puis dans l'air se perdait
Après avoir roussi les fleurs sur son passage;
Et les petits oiseaux redoutaient ce nuage
Qui recelait pour eux la mort.
Mais toi, vieillard,
Dans ton laboratoire où règne un jour blafard,
Que fais-tu donc, savant à chevelure blanche?
Que prépares-tu donc en retroussant ta manche?
Et que sortira-t-il de ton sombre alambic?
Un dragon vert ?—de l'or ?—des vapeurs d'arsenic?
Dans ta grotte de pierre où se meurt la pervenche,
Lorsque sur ton fourneau ton front rêveur se penche,
Quand ton œil est fixé sur les métaux fondus,
Et cherche a distinguer dans le sein du mélange
Si le filon grossier en lingot d'or se change,
Tes labeurs sont-ils donc perdus?
Réaliseras-tu ton Idéal? —Le monde
Sera renouvelé par ton oeuvre féconde:
Paracelse l'a dit; cela suffit: tu crois!
Tu suis aveuglément les pas de ce prophète;
Tu marches hardiment a l'ombre de sa tête,
Comme un chrétien fidèle à l'ombre de la croix!
Non! la pierre philosophale
N'ornera jamais ton réduit!
L'or, le diamant et l'opale
De tes travaux obscurs ne seront pas le fruit;
Mais ta main,si débile encore,
Ouvre les portes de l'aurore
A l'astre grandissant qui dore
Le front du monde ténébreux !
Mais,fruit de ton expérience,
Fruit de ta longue patience,
Celle qu'on nomme la Science
A percé la voûte des cieux!
Ta main a déchiré le voile
Qui recouvre la vérité!
Sur ton front a brillé l'étoile
Qui brille sur le front de la Postérité!
Oh ! vieux rêveur du moyen-âge,
Vieux sorcier au blême visage,
Sois fier, sois fier de ton ouvrage!
Sois content,vieil halluciné!
Tes découvertes sont célèbres
Soulève tes voiles funèbres!
Du siècle maudit des ténèbres,
Le siècle de lumière est né !
Au demeurant, et tout païens qu'ils se proclament, les Porphyre et les lamblique prêchent le Christianisme sans le savoir, lorsqu'ils jettent les lambeaux d'un voile mythique défraîchi sur ces mêmes grands principes, que le symbolisme chrétien vient de revêtir si magnifiquement de nouvelles allégories, plus conformes au génie de l'ère naissante.
1689 Billot (G. P.). Recherches psychologiques sur la cause des phénomènes extraordinaires observés chez les modernes voyants, improprement dits somnambules magnétiques, ou Correspondance sur le magnétisme vital entre un solitaire et M. Deleuze. Paris, Albanel, 1838, 2 vol. in-8, br., couv. (M.32).
I
Je vis une négresse aux formes opulentes
Dont les yeux, pleins d'amour, d'attirance et d'ennui,
Reflétaient vaguement les étoiles tremblantes,
Mouches d'or au manteau bleu foncé de la nuit.
Je vis une négresse aux formes opulentes.
II
Ange de la Douleur qu'on ne peut consoler,
Elle avait dans le Ciel deux ailes étendues,
Qu'elle agitait parfois, comme pour s'envoler,
lin songeant au trésor des voluptés perdues,—
Ange de la Douleur qu'on ne peut consoler.
III
De son corps ruisselait l'effluve des luxures
lit des rares désirs inassouvis toujours.
Sa gorge palpitait, où saignaient des morsures
Ouvertes sous la dent féroce des amours.
De son corps ruisselait l'effluve des luxures.
La Sorcellerie ou Magie Noire, qu'ailleurs nous définissons «le mise en oeuvre, pour le Moi, des forces occultes de la Nature », diffère de la haute et divine Magie en trois points essentiels: elle s'en distingue d'abord par la diversité d'intention, puis par le degré de science ou d'ignotance des moyens employés, enfin par le contraste des résultats obtenus.
Comme tout grand poète, Baudelaire est un symboliste : il drape ses plus belles conceptions du voile mythique, et derrière ses images les plus hardies, il est de profondes pensées. l'on resterait des heures à songer devant telle de ses pages, également suggestive pour l'esprit y l'imagination et les sens. « Le Rêve d'un curieux » est de celles-là.
Passionnés pour un ascétisme panthéistique erroné peut être, mais remarquables pour leur synthèse cosmique et leur science étonnante de réalisation, les Mahatmas se succèdent,-de temps immémorial, sur les hauts plateaux de l'Himalaya. C'est là qu'ils vivent dans la retraite et l'étude. La Société Théosophique, fort en prospérité dans les Indes Anglaises et tout l'empire Britannique, et qui pousse jusqu'à Paris plusieurs ramifications, se réclame de ces maîtres orientaux, inspirateurs directs de l'intéressante revue (The Theosophist), qui s'est récemment fondée à Madras.