Emanuel Schikaneder, ou plus exactement SchiKeneder, était né en 1748, à Ratisbonne, de parents pauvres, musiciens. Après avoir fait sa fête comme violon dans les orchestres forains, il monte sur les planches et chanta dans des troupes ambulantes. En 1778, il reprit la direction d'une troupe déjà célèbre : la Compagnie Moser, avec laquelle, pendant de longues années, il parcourut les principales villes de Bavière, de Bohême, de la Styrie et de la Carinthie, jouant les ouvrages les plus récents de Lessing, Goethe, Schiller, voire des opéras de Gluck, Haydn et Mozart et aussi des farces et des pièces populaires [Singspiele), dont il était l'auteur. Dès 1786, l'Empereur Joseph II lui avait accordé le privilège d'un théâtre à Vienne, mais les intrigues de Salieri et des Italiens empêchèrent Schikaneder de mettre à exécution ses projets. Il retourne alors à Ratisbonne, où il fonda un théâtre qui, subsidié par le prince de Tour et Taxis, deviendra bientôt très florissant. En 1789, il alla s'installer à demeure à Vienne, avec sa compagnie, dans un petit théâtre aménagé sur un terrain libre d'impôts et de pénalité, qui était appelé le Theatre auf der Wieden, ou À la Vienne. C'est là que fut jouée la Flûte enchantée. Cette scène ayant été condamnée à cause du danger d'incendie, Schikaneder construisit, de 1798 à 1801, un nouveau théâtre sur le même emplacement. Il vendit peu après son privilège à une société de grands seigneurs, parmi lesquels le baron von Braun, protecteur de Beethoven, qui y fît représenter, en 1805, son Fidelio. En 1807-1809, Schikaneder, vieillissant et déjà atteint d'un début de folie, fut appelé à la direction du théâtre de Brünn; puis il passa à Steyer, et enfin, en 1812, à Pesth, où il inaugura, avec les Ruines d'Athènes de Beethoven, le théâtre nouvellement construit. La même année, il fallut l'enfermer dans un asile d'aliénés, où il mourut misérablement, le 21 septembre .
Il importe, en effet, de dire que sous la puérilité d'une action, tour à tour fantastique, sérieuse ou comique, le livret de la Flûte enchantée dissimule des pensées philosophiques et des revendications spirituelles, qui, pour n'avoir plus aujourd'hui la portée qu'elles avaient jadis, n'en sont pas moins essentielles à l'œuvre et n'en peuvent être séparées. Les passer sous silence ou les ignorer, c'est trahir à la fois la pensée de Schikaneder et plus encore celle de Mozart.
Quand on prend le livret de la Flûte enchantée et qu'on le parcourt superficiellement, la première impression est celle d'un assez sot assemblage de scènes comiques et fantastiques, sur une trame puérile au tant que naïf.
Celui, dit-il, qui dans la musique se sera soustrait entièrement à la tyrannie de la mesure et nous en aura délivré, celui-là aura rendu, tout au moins en apparence, la liberté à cet art ; celui qui aura donné ensuite à la musique la conscience d'elle-même lui donnera le pouvoir d'être l'expression d'une belle idée ; et à partir de ce moment, la musique sera le premier de tous les arts.
La principale oeuvre inscrite au programme était la symphonie en ut mineur de Beethoven.
Cette symphonie a de tout temps été l'objet d'une prédilection particulière de la part des chefs d'orchestre. C'est leur concerto à eux, le morceau à effet où l'autorité de leur bâton se peut manifester avec le plus d'éclat. Aussi ont-ils tous l'ambition de la diriger; mieux que cela, de la diriger bien. Par son caractère dramatique, l'oeuvre appelle d'ailleurs une interprétation expressive: il ne suffit pas de l'exécuter.
La plupart de nos chefs d'orchestre sont encore des produits du hasard, c'est-à-dire des compositeurs avortés, des pianistes ou des violonistes qui, n'ayant pas réussi comme virtuoses, s'installent un matin au pupitre, sans se douter que l'art de conduire, de tous les arts relatifs à la musique, est peut-être celui qui réclame le plus de véritable sens musical et le plus de science, c'est-à-dire le plus de préparation, sans parler des facultés spéciales indispensables au métier proprement dit.