Le monde est fou et multiple – plus que nous le pensons, Incorrigiblement pluriel.
La mer
Incorrigible, impitoyable,
Elle a fait cliqueter la plage de galets de mon enfance,
Subtile, l’inverse de la terre,
Et, à la différence de la terre, capable
À tout moment d’annoncer l’éternité
Comme quelque chose ou quelqu’un à qui
Il faut se rendre, gagnant
Par cette reddition la vie.
(p. 99)
Plante et fantôme
(première strophe)
L’homme : pages qui volettent,
Feuilles dans la grotte de la Sybille
Ombre passant de l’aube au crépuscule,
Murmure du blé dans le vent,
Poignée de mains avec des hallucinations,
Frayant avec les fantômes, pompe à sang,
Mirage, araignée qui se balance
Sur le chaos et l’homme un chaos.
(p. 53)
Prière d’avant que de naître
Je ne suis pas encore né; Ô écoutez-moi.
Ne laissez pas la chauve-souris suceuse de sang ou le rat ou l’hermine
ou la goule au pied-bot venir près de moi.
Je ne suis pas encore né ; consolez-moi.
J’ai peur que la race humaine ne m’emmure dans des murs immenses,
ne me contraigne avec des drogues puissantes, ne me subjugue avec de sages mensonges
ne me torture sur de noirs chevalets, ne me roule dans des bains de sang.
Je ne suis pas encore né; fournissez-moi
de l’eau pour me câliner, de l’herbe qui pousse pour moi, des arbres
qui me parlent,
du ciel qui chante pour moi, des oiseaux et une lumière blanche
au fin fond de mon esprit pour me guider.
Je ne suis pas encore né, pardonnez-moi
Pour les péchés qu’en moi le monde va commettre, mes paroles
quand ils me parlent au travers de moi, mes pensées quand ils me pensent,
ma trahison perpétrée par des traîtres au-delà de moi,
ma vie quand ils assassinent en se servant de mes mains,
ma mort quand ils me vivent.
Je ne suis pas encore né; faites-moi répéter
tous les rôles que je devrais jouer les répliques que je dois assumer
quand les vieillards me feront la leçon, les bureaucrates me sermonneront,
les montagnes me regarderont en sourcillant, les amants se moqueront de moi,
les blanches vagues me feront injonction à la folie
et le désert m’appellera à l’anéantissement
et le mendiant refusera mon aumône et mes enfants me maudiront.
Je ne suis pas encore né; Ô écoutez-moi.
Ne laissez pas l’homme qui est une bête ou qui pense qu’il est Dieu
venir près de moi.
Je ne suis pas encore né; Ô remplissez-moi
de la force contre ceux qui voudraient figer mon
l’humanité, voudraient me forcer à n’être qu’un automate létal,
voudraient faire de moi un rouage dans une machine, une chose avec un seul visage, une chose, et contre tous ceux
qui voudraient dissiper mon intégrité, souffler sur moi comme un chardon
de-ci de-là ou de-ci de-là ou me répandre comme l’eau tenue dans les mains.
Ne les laissez pas faire de moi une pierre et ne les laisser pas me renverser.
Sinon tuez-moi.
1944
And it appears that every man’s desire /
Is life rather than victuals.
Life being more, it seems, than merely the bare
Permission to keep alive and receive orders,
Humanity being more than a mechanism
To be oiled and greased and for ever unaware
Of the work it is turning out, of why the wheels keep
turning;
Here at least the soul has found its voice
Though not indeed by choice;
The cost was heavy.
They breathe the air of war and yet the tension
Admits, beside the slogans it evokes,
An interest in philately or pelota
Or private jokes.
And the sirens cry in the dark morning
And the lights go out and the town is still
And the sky is pregnant with ill-will
And the bombs come foxing the fated victim.
As pretty as a Guy Fawkes show —
Silver sprays and tracer bullets —
And in the pauses of destruction
The cocks in the centre of the town crow.
The cocks crow "in Barcelona
Where clocks are few to strike the hour;
Is it the heart’s reveille or the sour
Reproach of Simon Peter?
The year has come to an end,
Time for resolutions, for stock-taking;
Felice Nuevo Aho !
May God, if there is one, send
As much courage again and greater vision
And resolve the antinomies in which we liye
90
Where man must -be either safe because he is negative
Or free on the edge of a razor.
Give those who are gentle strength,
Give those who are strong a generous imagination,
And make their half-truth true and let the crooked
Footpath find its parent road at length.
I admit that for myself I cannot straiten
My broken rambling track
Which reaches so irregularly back
To burning cities and rifled rose-bushes
And cairns and lonely farms
Where no one lives, makes love or begets children,
All my heredity and my upbringing
Having brought me only to the Present’s arms —
The arms not of a mistress but of a wrestler,
Of a God who straddles over the night sky;
No wonder Jacob halted on his thigh —
The price of a drawn battle.
For never to begin
Anything new because we know there is nothing
New, is an academic sophistry —
The original sin.
I have already had friends
Among things and hours and people
But taking them one by one — odd hours and passing
people 5
Now I must make amends
And try to correlate event with instinct
And me with you or you and you with all,
No longer think of time as a waterfall
Abstracted from a river.
I have loved defeat and sloth,
The tawdry halo of the idle martyr;
91
I have thrown away the roots of will aftd conscience,
Now 1 must look for both,
Not any longer act among the cushions
The Dying Gaul 5
Soon or late the delights of self-pity must pall
And the fun of cursing the wicked
World into which we were born
And the cynical admission of frustration
( £ Our loves are not full measure,
There are blight and rooks on the corn’).
Rather for any measure so far given
Let us be glad
Nor wait on purpose to be wisely sad
When doing nothing we find we have gained nothing.
For here and now the new valkyries ride
The Spanish constellations
As over the Plaza Cataluna
Orion lolls on his side;
Droning over from Majorca
To maim or blind or kill
The bearers of the living will,
The stubborn heirs of freedom
Whose matter-of-fact faith and courage shame
Our niggling equivocations —
We who play for safety,
A safety only in name.
Whereas these people contain truth, whatever
Their nominal facade.
Listen: a whirr, a challenge, an aubade —
It is the cock crowing in Barcelona.
92
XXIV
Sleep, my body, sleep, my ghost,
Sleep, my parents and grand-parents,
And all those I have loved most:
One man’s coffin is another’s cradle.
Sleep, my past and all my sins,
In distant snow or dried roses
Under the moon for night’s cocoon will open
When day begins.
Sleep, my fathers, in your graves
On upland bogland under heather 5
What the wind scatters the wind saves,
A sapling springs in a new country.
Time is a country, the present moment
A spotlight roving round the scene;
We need not chase the spotlight,
The future is the bride of what has been.
Sleep, my fancies and my wishes,
Sleep a little and wake strong,
The same but different and take my blessing —
A cradle-song.
And sleep, my various and conflicting
Selves I have so long endured,
Autobiographie (version finale)
Dans mon enfance les arbres étaient verts
Et il y avait tant et tant à voir
Reviens vite ou ne reviens jamais.
Mon père faisait résonner les murs,
Il portait son col de travers.
Reviens vite ou ne reviens jamais. Ma mère portait une robe jaune ;
Douce, douce, la douceur même.
Reviens vite ou ne reviens jamais.
A l’âge de cinq ans les rêves noirs sont venus ;
Rien après ne fut tout à fait pareil.
Reviens vite ou ne reviens jamais.
Le sombre parlait aux morts :
La lampe était sombre à côté de mon lit.
Reviens vite ou ne reviens jamais.
Quand je me réveillais ils ne faisaient pas attention à moi ;
Personne, personne n’était là.
Reviens vite ou ne reviens jamais.
Quand ma terreur silencieuse criait,
Personne, personne ne répondait.
Reviens vite ou ne reviens jamais.
Je me suis levé : le soleil glacial
M’a vu partir seul.
Reviens vite ou ne reviens jamais.
Septembre 1940
Tandis que l'espèce mâle assassine chacun sa femme
Dont la prière d'oubli n'est entendue par aucune Madone.
Berceuse pour Eleanor
Dors, ma chérie, dors,
La pitié de tout
Est notre point cardinal
Nous observons la catastrophe s’abattre.
Laisse donc tes vingt ans et quelques
encombrés d’années et de dérobades
Dans le ciel seulement,
Est la grotte de sommeil des voleurs.
L’herbe sauvage va chuchoter,
les lumières des voitures qui passent
vont strier tes rêves
Et fouiller jusqu’aux étoiles;
La vie va tapoter à la fenêtre
Encore une fois trop tôt,
La vie aura sa réponse -
Ne lui demandez pas quand.
Lorsque la bulle avenante
Frissonne, lorsque la branche
se brise, ce sera le moment
Mais pas ici ni maintenant.
Dors, et endors-toi, oublie
Les guetteurs sur le mur
sont éveillé toute la nuit et ils savent
La pitié de tout.
Octobre 1940
REMARQUE
Je suis conscient qu'il y a des déclarations excessives dans ce poème -
par exemple dans les passages traitant de l'Irlande, l'Oxford by-
élection ou ma propre existence plus privée. Il y a aussi
incohérences. Si j'avais écrit un poème didactique
correctement, il aurait été mon travail de qualifier ou d'éliminer
ces exagérations et incohérences. Mais j'étais écrit
ce que j’ai appelé un journal. Dans un journal ou un
lettre un homme écrit ce qu'il ressent en ce moment; à
tenter la véracité scientifique serait - paradoxalement -
, malhonnête. La vérité d'un lyrique est différente des vérités
'de la science et ce poème est quelque chose à mi-chemin entre
le poème lyrique et didactique. Dans la mesure où c'est la moitié
chemin vers un poème didactique j'espère qu'il contient
`` critique de la vie '' ou implique des normes qui ne sont pas
j simplement personnel. Je l'écrivais d'août 1958 à
la nouvelle année et n'ont modifié aucun passage concernant
aux événements publics à la lumière de ce qui s'est passé après
moment de la rédaction. Ainsi, la section sur Barcelone ayant
écrit avant la chute de Barcelone, je devrais
il est malhonnête de l'avoir qualifié rétrospectivement en
mes réactions à l'événement ultérieur. Je n'essaye pas non plus de
offrir ce que tant de gens exigent maintenant des poètes - un
verdict final ou un jugement équilibré. C'est la nature de
ce poème ne doit être ni définitif ni équilibré. J'ai certain
croyances qui, je l'espère, émergeront au cours de celle-ci mais qui
J'ai refusé d'abstraire de leur contexte. Pour ça
raison pour laquelle je serai probablement appelé un tondeuse par certains et
un extrémiste sentimental par d'autres. Mais la poésie dans mon
l'opinion doit être honnête avant toute chose et je refuse
être «objectif» ou clair au détriment de l'honnêteté.
Mars 1959.
55
The comedian spilling the apple-cart
Of doubles entendres and doggerel verses
And the next day begins
Again with alarm and anxious
Listening to bulletins
From distant, measured voices
Arguing for peace
While the zero hour approaches,
While the eagles gather and the petrol and oil and grease
Have all been applied and the vultures back the eagles.
; But once again
I The crisis is put off and things look better
; And we feel negotiation is not vain —
' Save my skin and damn my conscience.
jAnd negotiation wins,
| If you can call it winning,
And here we are — just as before — safe in our skins;
j Glory to God for Munich.
! And stocks go up and wrecks
i Are salved and politicians’ reputations
j Go up like Jack-on-the-Beanstalk; only the Czechs
} Go down and without fighting.
56
ix
Now we are back to normal, now the mind is
Back to the even tenor of the usual day
Skidding no longer across the uneasy camber
Of the nightmare way.
We are safe though others have crashed the railings
Over the river ravine; their wheel-tracks carve the
bank
But after the event all we can do is argue
And count the widening ripples where they sank.
October comes with rain whipping around the ankles
In waves of white at night
And filling the raw clay trenches (the parks of London
Are a nasty sight).
In a week I return to work, lecturing, coaching,
As impresario of the Ancient Greeks
Who wore the chiton and lived on fish and olives
And talked philosophy or smut in cliques;
Who believed in youth and did not gloze the unpleasant
Consequences of age;
What is life, one said, or what is pleasant
Once you have turned the page
Of love? The days grow worse, the dice are loaded
Against the living man who pays in tears for breath;