parler correctement une langue, est-ce savoir la chanter ou la taire
lorsque s’éloigne le monde ?
je crois que c’est un poème
Le fils le plus jeune découvre les mots écrits
par son grand-père juste avant
le silence définitif.
Trois feuillets qu’il s’efforce de lire
et
pour lesquels il me demande de trouver un
spécialiste
qui éclaire le sens de ces lignes étranges et
répétitives.
Il dit : je crois que c’est un poème.
Toute une vie à déchiffrer ces trois feuillets
presque effacés.
Depuis l’enfance, je regarde mes pieds,
me demande si je les reconnais
ou
s’ils me sont des étrangers.
Je n’ai pas de réponse,
alors je les glisse dans des souliers.
CARRÉ MUSIC
Extrait 1
L’un ne lit que de la poésie crée des drôles d’outils de jardinage qu’il met ensuite dans des cadres carrés puis un autre est entré et a demandé de la poésie rien que de la poésie je viens de perdre ma mère il a acheté trois livres d’un coup l’oiseleur nous l’avions fait entrer dans ce paradis parce que le peintre et moi venions de perdre chacun notre mère presque en même temps et cet éden dont se pare le titre une sorte d’hommage à nos mères puissantes à leur goût d’ordonner nos vies tel le jardinier dans son potager ordonne les carrés selon qu’il y sème des salades des carottes et des choux gui et moi étions des enfants tant que nos mères étaient en vie elles sont comme ça
…
Et au-dessus du lent pourrissement du jardin en hiver, une rose s'est ouverte et sa couleur chante un autre air que le mien.
Alors vivante je vais au monde.
Le soleil un voisin…
Le soleil un voisin
nos doigts dessinent
l’ombre d’un départ
sur le mur bleu
Et toujours
l’énigme double
d’un visage
me retient.
Qui est là
Multiple voix
épais silence
dans le regard
détourné ?
Mon dessin s’efface
à cause du crayon
et de la gomme
Et la phrase que j’écris
a la faiblesse
de ma main.
Où sont passés les sentiments ?
Dans nos pieds.
Dans nos souliers.
Dans nos vêtements vidés de nous-mêmes.
CODA
l’invention d’un sentiment
patrie portative
qui fait aller ensemble l’oiseau et la charrue
la main et le torrent
la morte et les vivants
la colère sur le visage
avec celle des orages
nous l’espérons
ce sentiment on le pressent venir
dans l’amour de deux montagnes
pour une troisième
Mont Ventoux et Mont Lozère
(84/48/04)
amoureux de la montagne de Chine
(pourtant le chiffre 4 est banni en Asie
si le 5 est celui de la patrie portative)
et tout ça ouvert entre terre et ciel
creusés comme le cœur dans la tête
ensemble
Autour de la ville de Kiev…
Autour de la ville de Kiev
la vieille dame a été jeune fille en fuite.
Corps blanc, souple et doux, cheveux blonds.
Son fils la regarde.
Elle avance dans l’eau jusqu’à la taille
et se fraye un chemin entre les herbes.
Son fils est plus vieux qu’elle.
Elle, l’étrangère.
Pas de règles pendant six mois,
pas de sang, libre d’aller mais sans.
Petite infirmière des vivants,
pays en guerre mais sans.
Un fils à le dire sait bien le poids léger de la jeune fille russe.
La mère devenue vieille toujours aussi légère mater.
Par où ça commence la peau
Par où ça commence la peau, le dessus, le
dessous ?
Entrée, sortie, la bouche, les oreilles, la langue ?
Le dictionnaire en équilibre maladroit,
les mots glissent et se dispersent,
tombés loin, perdus ou greffés
sur la peau.
Limaille, ferraille, paille, broussaille
voilà mots dont nous avons besoin
pour construire nos maisons.
Déserter la vie,
un riblon fiché dans la tête
et y trouver du contentement,
vraiment non, ça, rien à faire
avec ça, la poésie ?