L`au-delà des dieux Extrait de mon roman, L'au-delà des dieux, chapitre 11 : Quelques lieux sous la merLa navigation sur le vaste dos de la mer fut de courte durée. Ezio ne souhaitait pas s’éloigner trop loin du rivage, en cas de problème.
De quel problème ?
C’était indéfinissable, mais Thalia lui semblait si imprévisible. Il préférait être prudent.
Quand Ezio jeta l’ancre, Thalia sut qu’elle allait devoir faire ses preuves. Elle ne se sentait pas vraiment prête, mais, comme Ezio l’avait dit en riant, le moment était venu de se jeter à l’eau. Assise sur le bastingage, son corps celui d’Ezio, Thalia respira amplement et, au signal donné, se laissa tomber par-dessus bord. C’était toujours pour elle un moment délicat. Partagée entre l’ivresse qu’elle ressentirait à glisser dans les ondes et la crainte d’éventuelles mauvaises rencontres avec des monstres marins affamés, son cœur battait trop vite. Elle savait que, dans quelques secondes, l’anxiété l’étreindrait et l’obligerait à crier grâce. Elle avait caché cette faiblesse à Ezio, craignant qu’il ne la dissuade encore davantage de son hasardeux dessein.
Mais hélas, il allait vite s’en rendre compte !
Dès que quelques gouttelettes eurent pénétré à son insu dans le masque de plongée, elle paniqua et se précipita vers la surface, remuant ses jambes et ses bras frénétiquement, n’importe comment, au bord de l’asphyxie. Ezio, qui nageait tout contre elle, saisit aussitôt le danger de la situation, la suivit, et l’aida à grimper à bord du bateau. Quand la piètre naïade se retrouva devant lui, hors d’haleine, honteuse, balbutiante, et commença à évoquer sa crainte de se noyer, il l’interrompit aussitôt. Il avait tout compris de lui-même et lui proposa, pour tenter de résoudre son problème d’angoisse, de s’initier immédiatement à la plongée avec scaphandre autonome, nettement plus sécurisante.
Sans plus attendre, le corps de Thalia se retrouva enserré dans une combinaison isolante et la tête prise dans une cagoule, ustensiles indispensables pour la protéger des sensations de froid habituelles dans les profondeurs. Ezio fixa sur son dos une bouteille contenant du gaz comprimé qui assurerait sa respiration et lui expliqua comment s’y prendre afin de résister à la pression de l’eau, comment veiller à respecter des paliers de décompression. Enfin ils se jetèrent en arrière, ensemble, dans la mer onduleuse, telle qu’Homère la qualifiait parfois dans son Odyssée. Thalia avait de plus en plus coutume de penser et de s’exprimer en reprenant ce langage lyrique si particulier qui lui plaisait tant.
Ezio avait raison.
Thalia réalisa aussitôt que tout se passerait mieux.
C’était merveilleux de ne pas se retrouver en apnée, suffocante, de ne pas être contrainte de devoir happer un peu d’air à la surface à tout bout de champs, de mieux observer le monde sous-marin au travers d’un casque approprié. Enfin, l’incommensurable bonheur de se sentir en apesanteur, d’échapper à la gravitation, de découvrir la vraie signification du terme « avoir la glisse », réjouit son cœur et ce fut extraordinaire. La présence d’Ezio la rassurait pleinement. Il la guida vers ce « Monde du silence » dont le commandant Cousteau avait si souvent peuplé ses rêves, ou celui de « Vingt mille lieues sous les mers », ce roman de Jules Verne qui lui avait donné goût à la lecture quand elle était encore petite fille.
En évoluant parmi des bancs de rascasse, de daurades, de demoiselles à bandes noires, Thalia se ressourçait. Une étonnante force nourrissait ses muscles et elle eut l’impression de se métamorphoser en déesse des mers et des océans, à l’instar de Poséidon ; elle était soudain aussi puissante que lui, brandissant son trident redouté, déchaînant les tempêtes ou calmant la fureur des vagues, à sa guise, applaudi par les dauphins, ses alliés.
Ezio veillait sur Thalia, attentif à ce que ses rêveries ne l’entrainent pas à commettre de fatales erreurs. Le couple de plongeurs ne descendit donc qu’à dix mètres sous l’eau. C’était suffisant pour une première leçon.
Thalia était heureuse.
En osmose avec le milieu subaquatique qui l’avait toujours envoûtée.
Devenue héroïne de films comme « Le Grand bleu », « Abysse », ou « Aquaman ».
De retour à bord de « Ma beauté », un silence recueilli s’installa.
Ni Ezio ni Thalia n’eurent envie de partager leurs émotions. Tous deux étaient conscients d’avoir vécu des instants rares de partage, entre eux, avec l’élément liquide qu’ils affectionnaient, avec les dieux qui les avaient protégés. Leurs êtres vibraient à l’unisson de cette nature indomptable qui, cette fois, les avait bercés en son sein.
[...]
Extrait de L'au-delà des dieux, chapitre 12 : Plongée en eaux troublesDès ses premiers instants de plongée vers les eaux sombres, une sourde angoisse étreignit son cœur, mais, ainsi que Ezio le lui avait enseigné, Thalia réussit à dompter sa respiration et tout rentra dans l’ordre. En toute sérénité, elle continua à glisser vers les hauts fonds jusqu’à ce que ses palmes eussent de plus en plus de mal à la propulser ; les eaux devenaient très lourdes ; l’effort à fournir était de plus en plus intense. Une épaisse couche de boue brunâtre tenta de l’enliser lorsqu’elle atteignit le seuil des cinquante-cinq mètres. Même en essuyant le hublot de son casque régulièrement, la visibilité se réduisait considérablement. Il n’y avait plus de poisson, plus de plancton.
Était-elle en enfer ?
Ainsi qu’on le prétendait ?
Thalia insista et, aidée du petit piolet dont elle s’était munie, se fraya un passage dans cette sorte de vase épaisse et gluante. Elle songeait au commandant Cousteau qui avait effectué cette aventure avant elle pour, au bout du compte, ne rien trouver. Enfin, c’est ce qu’en avait relaté les médias. Rien n’était moins sûr ! Il fallait persévérer.
Quelle angoisse !
Les flots hostiles l’agressaient, l’étouffaient ! Nilos, Ezio, où étaient-ils ? Thalia avait soif de se retrouver serrée dans leurs bras bienveillants. Il fallait passer outre cette sensation d’abandon et se concentrer sur l’objectif : trouver une porte, une voie, un passage, un vortex. Thalia descendit encore et encore jusqu’à l’embouchure d’une sorte de tunnel où l’eau était condensée entre deux parois rocheuses. On y voyait à nouveau comme en plein jour. Brusquement, Thalia fut aspirée par un fort courant ; c’était vertigineux ; parfois elle était précipitée violemment contre une des parois, puis contre l’autre, mais, bizarrement, cela ne lui causait aucune douleur.
Soudain cette course infernale cessa net.
Thalia était paralysée.
Immobile en suspension dans l’eau.
Elle reprit ses esprits avec peine, enfin, elle avait touché le fond. Ses palmes reposaient sur une surface mousseuse, assez douce, tiède et accueillante ; plus de parois autour d’elle mais une étendue d’eau claire, d’un beau bleu lagon ! Elle osa faire émerger sa tête, puis son corps, et, en frottant la visière de son casque de scaphandre pour mieux voir, elle fut saisie de surprise. Devant elle, une petite plage de sable fin se dorait sous les rayons d’un beau soleil, roi d’un ciel d’azur d’une pureté infinie.
C’est alors que Thalia 2 se manifesta puissamment dans l’esprit de Thalia 1, demandant l’autorisation d’intervenir. Ce qui lui fut accordé instantanément.
Un nuage léger et cotonneux jaillit du nombril de Thalia 1, se positionna devant elle, tournoya doucement autour de son cou, le caressant tel un foulard de soie infiniment épris de son hôte, et s’envola en direction de cette étrange plage.
Tout le temps de la descente vers l’inconnu, le double de Thalia ne s’était pas exprimé. La conclusion s’imposait : le phénomène d’ubiquité ne pouvait se produire que hors de l’eau. Il était difficile de savoir pourquoi, mais le dédoublement n’était possible qu’au contact de l’air.
Thalia 1 scruta sa montre : il ne restait plus que dix minutes avant de devoir remonter à la surface du lac, en respectant les paliers de décompression obligatoires. Un stress intense accéléra dangereusement les battements de son cœur.
Thalia 2 s’éloignait.
Qu’allait-il arriver ?
Fallait-il la suivre ou l’attendre ?
Thalia 1 choisit de patienter ; c’était plus prudent de d’abord observer la situation par l’intermédiaire des yeux de Thalia 2, envoyée en éclaireur.
Cela valut la peine : un groupe de garçons s’avançait vers Thalia 2. Ils la frôlèrent sans la voir ; elle devait s’être rendue invisible. Ils étaient nus et coiffés d’une sorte de casque, de bonnet phrygien, ou de houppe, on ne savait pas bien. Ils se mirent à chanter, à jouer un air joyeux et vif où les cymbales s’unissaient aux tambours pour créer un rythme endiablé, à danser d’une manière si légère, si aérienne, qu’on aurait cru qu’ils volaient.
Quelle splendeur !
Le temps était suspendu.
La sonnerie de sa montre bardée de haute technologie rappela Thalia à l’ordre. Il devenait dangereux de s’attarder. Thalia 1 envoya un SOS à Thalia 2 par pensée interposée ; cette dernière revint, vive comme le vent, et s’inséra aussitôt en son cœur.
La remontée vers la surface du lac se passa sans encombre.
Caroline Comte @Caroline Comte