LE DORMEUR AU VAL
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent, où le soleil de la montagne fière
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Doit ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut;
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature ! berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine.
Il dort dans le soleil, la main sur la poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud
MUSIQUE
La lune se levait, pure, mais plus glacée
Que le ressouvenir de quelque amour passée.
Les étoiles, au fond du ciel silencieux,
Brillaient, mais d'un éclat changeant, comme des yeux
Où flotte une pensée insaisissable à l'âme.
Et le violon, tendre et doux, comme une femme
Dont la voix s'affaiblit dans l'ardente langueur,
Chantait : « Encore un soir perdu pour le bonheur.»