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Critique de Patsales


Rokhaya Diallo avait un jour tweeté sur le racisme du pansement, ce qui m'avait passablement énervée, genre on pourrait peut-être s'intéresser aux choses vraiment importantes ? Elle s'était ensuite plus longuement expliquée au cours d'interviews et les écailles m'étaient tombées des yeux. Ah ben oui, effectivement, le pansement « chair » ne vaut que pour les Blancs. Mais moi je suis une Blanche et une Française, j'appartiens donc à la majorité d'un pays pour qui l'homme est universel et qui nie donc sans doute plus qu'ailleurs toute discrimination essentialiste, j'ai besoin qu'on m'explique en beaucoup plus que 140 caractères.
Alors, sans doute que « Americanah » a été écrit pour des gens comme moi: les bons bougres pas trop subtils qui ne voient pas le problème. Chimamanda Ngozi Adichie campe une jeune Africaine émigrée aux U.S.A. et redouble les vicissitudes de sa vie privée d'un blog assassin sur la question de la race (Tu es blanc et pauvre et tu te plains? Tu n'atteindras jamais la vie de merde du pauvre qui est noir). C'est souvent très drôle et le portrait des grands bourgeois démocrates m'a fait glousser dans leur volonté opiniâtre de se montrer amicaux pour ne pas être considérés comme racistes.
Quelles que soient les qualités de ce bouquin, je me suis tout de même demandée pourquoi le Monde l'avait mis dans les 100 meilleurs livres de ce siècle, alors que Camus, par exemple, n'y apparaissait pas. Qu'il soit de salubrité publique, c'est évident. Mais s'agit-il de littérature ? Pour simplifier, je ne crois pas qu'un livre puisse être considéré comme littéraire s'il n'est pas au minimum polysémique. Or là, je ne voyais pas comment lire autre chose que ce qui était écrit. Et puis, la narration à la première personne, la subjectivité de la parole est parfois mise à mal par des exemples et des anecdotes qu'on a déjà lus et entendus: le sparadrap mais aussi la Française noire qui se prétend américaine pour être mieux servie dans les commerces, ou la réaction d'une femme le jour de l'élection d'Obama qui pensait que son petit-fils lui-même n'allait jamais connaître une telle expérience... « Americanah » ressemble parfois à du journalisme en mode compilation.
Oui mais le roman est en fait divisé en 3 parties que la chronologie parfois désordonnée ne parvient pas à masquer. C'est comme si le livre politique était enchâssé dans une romance, lui et moi beaux contre le monde entier et bientôt riches et célèbres. Chimamanda Ngozi Adichie a pris ses personnages dans la bourgeoisie nigériane, pour se concentrer sur le problème racial sans que la notion de classe interfère. Ok. L'immigration n'est pas celle de miséreux, leurs problèmes d'intégration sont presqu'uniquement dus à leur couleur de peau. Mais la moitié du roman se déroule en Afrique, là où la narratrice n'a pas à se préoccuper d'être noire, et l'absence de problèmes de classe pour ceux qui reviennent d'Amérique y est comme l'écho de la prétendue absence du problème racial aux U.S.A. : un grand impensé hypocrite. Et brusquement le roman devient beaucoup plus qu'un livre engagé parce qu'il se contredit lui-même, ce qui est toujours bon signe: la déconstruction des stéréotypes raciaux est aussi un moyen pour la bourgeoisie nigériane de s'absoudre de la place qu'elle occupe, indifférente aux plus pauvres et aux privilèges qu'elle doit à une élite politique très peu démocratique.
De ce face-à-face de deux hypocrisies naît un roman beaucoup plus subtil qu'il n'y paraissait au premier abord et donc doublement recommandable.
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