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Critique de Charmichael


Le One Shot génial d'un écrivain inconnu, disparu dans la nature. M. Aguéev se serait évaporé en Turquie après avoir posté son manuscrit.

En l'occurrence, ne pas connaître l'auteur m'envahit d'une forme de vertige mélancolique qui participe de l'appréciation. Comme de retomber sur de vieilles lettres aux noms oubliés, faisant resurgir du néant des sensibilités d'antan.

Il y a certes un narrateur, mais on ne sait qui rumine. Qui? Quel magicien du style, quel hypersensible, quel Salinger, quel John Kennedy Toole?... Quel est cet anonyme bruyant dont l'être palpite ainsi entre les lignes?

Roman avec cocaïne raconte à la première personne l'histoire de Vadim, jeune homme russe du début du XXe siècle, garçon péniblement intelligent et torturé.
Par son monologue adressé au lecteur, Vadim témoigne de :
- sa cruauté; ses mauvais penchants qui l'habitent et le soumettent irrépressiblement.
- sa désorientation, de plus en plus envahissante; il battra des mains pour rester en surface, tandis que son esprit prendra l'eau de toutes parts.

Déjà, voir que Vadim est un fils, et un mauvais fils, un fils qui dépouille sa mère - vieille femme flétrie par le travail et la pauvreté - de ses maigres ressources pour financer: 1. ses habits, son train de vie; 2. ses frasques sexuelles; 3. sa prise de coke.

Voir à ce titre comment il domine cruellement celle qu'il appelle "la vieille", lors de confrontations terribles avec elle. C'est positivement horrible. On sent chez lui le besoin de rabaisser sa mère (le vice fait son oeuvre), mais aussi de susciter l'estime maternelle, par une fausse assurance virile, parfaitement puérile et dispensable.
Voir comment, une fois qu'il lui a soutiré de l'argent, il va ensuite se ratatiner dans un coin pour y pleurer à chaudes larmes.

Récit tragique: la mère épuise ses forces pour que vive son fils, tout en s'effaçant pour ne pas l'incommoder. le fils, lui, utilise ce don sacrificiel pour courir à sa propre perte.

Récit amer, celui d'une déchéance éprouvée de l'intérieur: Vadim se vit comme un fruit pourri, il sent le pourrissement agir en lui. Son péché (de pleine conscience) a un côté vital, forcé par la nature. Péché contre lui-même, péché contre sa mère. La cocaïne entre les dents, et alors qu'il augmente les doses, il sent qu'il ne peut en être autrement.

On peut imaginer que le livre est né de fulgurances disjointes, de trouvailles inspirées mais autonomes, de notes éparses, rassemblées, réorganisées... pour trouver à la fin, laborieusement, la cohérence d'ensemble. Une écriture morcellée, hystérisée par les nuits blanches(?), l'alcool(?), la cocaïne(?)... Enfin cela reste une supposition dans le vent. Aussi bien M. "Aguéev" se levait-il tous les matins 8h pour reprendre son travail sagement, en pantoufles, une tasse de café chaud dans la main gauche...

Sinon le texte a beau avoir été écrit à un siècle de distance, il reste parfaitement actuel par ses thèmes (marasme, désorientation), par son ton, osé, affranchi. Peut-être d'autant plus que le cadre historique est à peine présent. Les jalousies en classe, les humiliations au tableau, les victoires d'écoliers, les camaraderies, vraies ou fausses, sont également celles des écoliers de l'an 2000. "Prostitution" et "cocaïne" sont plus éloignées mais on peut rapidement les transposer. Enfin, aucune ride dans l'écriture, et je trouve la traduction remarquable.

Ces derniers jours, un ami qui me prête des livres me le sort de sous le manteau, "last but not least", la pépite que l'on n'attendait plus... Par un hasard amusant, je venais à peine de le finir, conseillé par un autre ami, sur le même ton de confidence.
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