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Critique de seblack


Un joli livre. Une couverture bleu nuit sobre et élégante, un papier agréable au toucher, une mise en page aérée : de petits détails qui, déjà, invitent à un délicieux moment de lecture. le titre, l'églantier fleurit, reprend celui d'un recueil d'Anna Akhmatova composé de poèmes écrits entre 1946 et 1961. Plus largement, cet ouvrage rassemble des recueils de la grande poétesse qui embrassent l'ensemble de sa vie. Ces recueils et les poèmes qu'ils recèlent sont plutôt courts, de très jolis petites pièces de mots.
Cette édition bilingue est aussi le résultat d'un nouveau travail de traduction assuré par Marion Graf et José-Flore Tappy. Chose souvent trop rare, quelques lignes sont données au lecteur pour expliquer les partis pris choisis pour cette nouvelle traduction qui n'essaie pas de reproduire la mesure du verbe russe très différente de celle du vers français. L'accent est mis sur la restitution de la cadence et du rythme des vers d'Akhmatova. L'objectif était de faire jaillir la concision des images de la poétesse. L'objectif est réussi, ces vers dégagent une étonnante précision et une très belle sonorité. Pas ou peu de rimes et c'est tant mieux car ces vers y auraient alors certainement perdu de leur âme. On a l'impression que chaque mot, chaque signe de ponctuation est à sa place et forment des mélodies aux accents tantôt amoureux, tantôt mélancoliques voire sombres. Il faut prendre le temps de lire quelques uns de ces vers à voix haute pour se rendre compte de leur sonorité magnifique.
Les premiers recueils sont bercés par le chant de l'amour, un chant à l'être aimé où les accents du bonheur côtoient très vite ceux de la douleur de la perte de l'être cher. Les recueils suivants versent moins dans la romance (ne pas voir de sens négatif à cette expression) mais conservent cette sensibilité tout en gagnant en maturité, en assurance. Akhmatova dit aussi à travers ses vers tout l'amour de son pays et sa ville de coeur : Saint Petersburg dont elle évoque nombre de lieux. Comme souvent dans la poésie russe, une petite place est faite aux « pères ». Beaucoup de petites références à Pouchkine, probablement le véritable amour de sa vie. Un poème est aussi dédié à son contemporain Ossip Mandelstam.
Toujours la souffrance n'est jamais tapie très loin...mais Akhmatova aura eu toute sa vie durant cette énergie incroyable à ne jamais céder aux malheurs colossaux qui la frapperont, elle et les siens : la séparation déchirante avec son premier mari, le poète Nicolaï Goumilev, la mort de celui-ci (exécuté par les bolchéviks en 1921), l'arrestation et la déportation de beaucoup de ses proches (dont son fils pendant dix-huit ans), la mort au goulag de son second époux (l'historien d'art Nicolaï Pounine), l'ostracisme, la haine dont elle a été la victime de la part du pouvoir soviétique (elle ne pourra rien publier pendant quarante années). Rien de tout cela ne fera tomber Akhmatova la battante. Toujours sa silhouette restera debout, les pieds dans la mêlée mais l'âme au dessus du bourbier, comme un défi lancé à la vie et aux tyrans du Kremlin. Les yeux dans les yeux. Sans haine.
Cette force, ces quelques vers nous la transmettent avec acuité. Nom de nom, quel personnage ! Une meneuse qui jamais ne perdra sa lucidité et transformera en vers magnifiques les épreuves et les petits bonheurs de la vie, toujours avec grâce et sobriété. Des accents amoureux des vers des années 1910 aux accents tragiques du terrible Requiem, ce recueil nous donne une très belle vue d'ensemble de l'oeuvre immense d'Anna Akhmatova, bel arbre fleuri , dressé pour l'éternité dans le verger de la poésie.
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