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Critique de fbalestas


Je l'avoue humblement : si je n'avais pas été sollicitée par Masse Critique, je ne me serais pas dirigée naturellement vers « Je me souviens de Falloujah » de Feurat Alani. C'est tout l'intérêt de ces propositions pour vous faire sortir ces sentiers balisés de lecture que nous connaissons tous.
Et cela aurait été dommage, parce que j'ai été très attentive à cette lecture.

De quoi s'agit-il ? D'abord faut-il dire qu'il s'agit d'Irak.
L'Irak ? Pour moi c'était surtout : Saddam Hussein, la guerre du Golfe, et quelques clichés télévisuels légitimant une intervention américaine. Or on découvre avec les deux personnages principaux de ce récit, Euphrate le fils et Rami le père, toute la réalité d'un pays beaucoup plus riche que les deux ou trois idées que je m'en faisais.

Le récit débute lorsque Rami, installé en France depuis des années, est hospitalisé pour un cancer, et que son fils Euphrate (un très beau prénom dont on découvrira l'origine), qui va conduire le récit, se rend compte que son père commence à perdre la mémoire.
Commence alors une quête – et une course contre la montre – menée par Euphrate pour reconstituer la trame de vie de celui qui est né à Falloujah, et a fui en France pour des raisons politiques.

Feurat Alani va alterner les périodes de la vie de Rami par de nombreux allers et retours : on va découvrir Rami enfant, perdant sa mère très jeune, et subissant ensuite les foudres d'une belle-mère tyrannique qui lui préfère ses fils nés d'une première réunion, dans un combat fratricide qui va avoir des répercussions jusqu'au bout …

On verra ensuite Rami étudiant, puis (bien plus tard, à la fin du roman) on comprendra les raisons profondes de son exil en France.

On suivra aussi sa vie en France, marié puis père de famille, l'occasion pour Euphrate de livrer ses les premiers souvenirs d'enfance, s'efforçant par tous les moyens de faire oublier ses origines irakiennes inconnues des autres élèves à l'Ecole, et de faire oublier l'accent de ses parents et les expressions tronquées que son père peut avoir en français, comme lorsqu'il s'adresse à lui en le nommant « Ma fils ».

Falloujah ? Il m'a fallu regarder sur une carte pour mieux comprendre que l'on n'est pas à Bagdad, la capitale, mais pas très loin et pas très loin non plus de villes dont on parle beaucoup comme Erbil, Mossoul – des noms égrenés souvent par des grands reporters journalistiques - mais aussi de l'Iran, de la Syrie ou des autres pays du Moyen Orient voisins.

Et le voyage de retour, père et fils, dans un pays quasiment à l'abandon après la guerre, sera l'un des moments forts de ce récit … voyage abrégé presque immédiatement par un drame personnel vécu par Rami, voyant son meilleur ami retrouvé assassiné sous ses yeux.

Rami conservera sa vie durant un secret. Un secret que son fils à maintes reprises a tenté de lui faire dire, mais sans succès : le père ne voulant pas (ou ne pouvant pas ?) expliquer à son fils le contexte d'une enfance en Irak, avant la guerre du Golfe.

Car l'incompréhension entre père et fils est l'un des thèmes majeurs de ce récit, tout comme l'exil et ses conséquences psychologiques, faisant ainsi de « Je me souviens de Falloujah » beaucoup plus qu'un documentaire sur les heures sombres de l'histoire irakienne.

Sur le même thème (l'exil et les relations entre la deuxième génération et le pays de leurs parents) ce livre m'a fait penser à un tout autre pays (la Georgie) avec le livre de Kéthévane Davrichewy "Nous nous aimions" que je vous recommande aussi.

Tout enfant rêve de savoir comment étaient la vie de ses parents avant qu'il n'arrive. Mais quand ces questions forment un gouffre d'interrogations sans réponses, les conséquences psychologiques sont puissantes. Pour Euphrate ce sera un repli sur lui-même, faute de murs solides pour se construire.
La quête des souvenirs de son père, en une course contre la montre de la perte de mémoire qui le gagne, prend donc toute son importance pour celui qui a besoin de comprendre d'où il vient.

Un beau récit sensible donc, ponctué de points de repère sur un pays qui a beaucoup souffert, nous permettant de nous interroger sur notre vision occidentale très partielle de ce Moyen Orient qui est pourtant le berceau de notre civilisation : un rappel salutaire dans ces temps d'incertitude et de prolifération d'informations de tout ordre, et un bel hommage à la littérature qui permet de découvrir un récit à hauteur d'homme, celle dont on a grandement besoin en ce moment.
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