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Critique de fbalestas


Voilà un livre bien intéressant et diablement bien écrit.

Jakuta Alikavazovic – un nom imprononçable comme l'aurait dit l'un des jurés d'un prix littéraire à l'autrice (votre livre est très bon, mais j'aurais trop peur de ne pas savoir le prononcer, aurait-il dit) – accepte l'invitation des Editions Stock de passer une nuit dans un musée et d'en rendre compte par l'écrit.

Pour elle ce sera le Louvre. Une nuit donc pour parcourir à nouveau les galeries du Louvre et spécifiquement le salon qui accueille la Joconde, et celui de la Vénus de Milo. Parcourir à nouveau parce que ce trajet l'autrice l'a fait de très nombreuses fois quand, enfant, son père peintre l'emmenait avec lui et lui posait une question rituelle : « Et toi, comment t'y prendrais-tu, pour voler la Joconde ? ». Une nuit pour évoquer ses souvenirs, une nuit pour revivre une enfance qu'elle revisite pendant ces quelques heures seules face aux oeuvres qu'elle connaît bien.

Cette nuit au musée est donc notamment l'occasion pour l'autrice de faire le portrait de son père, ce père yougoslave arrivé en France à l'âge de vingt ans, ce père peintre – mais « peintre en bâtiment » comme les gens le pensent facilement dans ces années là pour un « Yougo » émigré en France, un père énigme pour sa fille qui lui faisait passer des tests pour voir si elle avait tout vu à l'intérieur d'un tableau, et qu'elle avait enregistré la configuration des salons dans l'idée de voler le célèbre tableau.

La Joconde d'ailleurs, comme l'autrice nous le rappelle, qui fit l'objet d'un vol par un peintre en bâtiment (cette fois-là un vrai) italien, un certain Vincenzo Peruggia dont le nom sera mal orthographié sur sa fiche de police, qui voulait « ramener la peinture à sa patrie ». Il se passera deux ans avant que la police ne découvre l'auteur du vol, et c'est l'occasion pour Jakuta Alikavazovic de s'interroger sur "ce que cela fait", de dormir en ayant le précieux tableau caché sous son lit.

Dans « Comme un ciel en nous » nous suivons donc l'autrice dans son introspection sur les traces de l'énigme de ce père admiré puis honni par sa fille : l'autrice traite du thème de l'exil – peut-on tout oublier de sa vie d'avant dans un contexte de guerre pour se fondre dans une vie parisienne – de son rapport à l'art, de littérature, de solitude et même d'un éventuel vol de tableau auquel son père aurait pu être mêlé.

Au passage elle raconte cette anecdote au cours de laquelle, petite, son père l'avait conduite au Louvre et l'avait laissé pendant quelques temps au pied de la Joconde, lui intimant de l'attendre. Mais ce père ne revenait pas et les gardiens s'étaient émus de cette fille qui ne voulait pour rien au monde quitter l'endroit où elle était censée retrouver son paternel. Celui-ci avait fini par arriver, au moment où la petite s'arcboutait sur son ancrage au près du célèbre tableau – pas question de faillir au serment de ne pas bouger en l'attendant.

Avec beaucoup de style, l'autrice dresse aussi un portrait de cette France des années 70 où les émigrés yougoslaves tentent de se fondre dans la masse, de se faire oublier, et où les enfants tentent de jouer la partition que leur propose la République en réussissant à l'école malgré les paroles calamiteuses d'une institutrice qui déclarera devant son père « Cette petite ne parlera jamais français ». Et de raconter le dilemme de ce père, tenu d'oublier sa propre langue, ses souvenirs, son deuil des parents laissés là-bas, pour se consacrer à l'apprentissage d'une langue dans laquelle il ne pourra que maladroitement transmettre ses émotions intimes à sa propre fille.

Jakuta Alikavazovic livre ici un récit plein de pudeur et de tendresse pour un père un père disparu, examinant le temps d'une nuit tous les malentendus et incompréhensions mutuels qu'ils ont pu entretenir.

Il restera une dernière énigme à nous livrer : l'autrice a réussi à introduire un objet caché dans son sac de voyage, un objet qu'elle ne nous dévoilera pas, qui lui servira pourtant a laissé une trace sur place, nous bornant à quelques conjonctures sur sa nature, mais avec l'intuition qu'il lui aura permis d'adresser un dernier signe à ce père disparu.

On peut comprendre à la fin que ce récit est une ultime tentative pour le rejoindre par le truchement de l'écriture - et c'est magistralement réussi.
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