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L'Avancée de la nuit de Jakuta Alikavazovic
Le silence est un organisme. Il est vivant et il s'infiltre .
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L`Avancée de la nuit m`a pris du temps, en effet. Mes quatre premiers livres, je les ai écrits dans une sorte d`urgence – et ce sentiment d`urgence a d`ailleurs été un outil de travail, un moteur. Cette fois, c`était différent et je me suis installée durablement dans l`écriture de ce roman. Peut-être parce qu`il touche à des questions intimes : l`identité, la transmission, la question de la liberté – féminine, surtout.
Il se trouve que c`est le genre de lieux – « fonctionnels » et plutôt froids – où nous sommes nombreux à travailler ou à résider. L`idée qu`il faille « ré-humaniser » des espaces qui sont faits par les hommes et, a priori, pour eux : c`est quand même étrange, quand on y pense. Ces contradictions de la modernité m`intéressent. Par la force des choses, il se trouve que c`est souvent dans ces endroits que nous rêvons, que nous aimons. C`est notre désir qui les humanise. Ou même les érotise, comme pour Paul et Amélia. Ces architectures à la fois reflètent et façonnent l`esprit d`une époque. En littérature, on le voit bien, par exemple, chez James Graham Ballard ou Don DeLillo – deux romanciers que j`aime beaucoup.
Par observation, tout simplement. Tout le monde a une histoire, non ? Mais la transmission ce n`est pas qu`une « prison » ou un « piège », au contraire c`est le sol sous nos pas, la ou les langues qu`on nous a apprises, les histoires qu`on nous a racontées et dont nous nous souvenons... D`ailleurs, Paul n`est pas tant « piégé » par la classe sociale de son père que par son silence, qui justement complique la transmission. On a tendance à considérer les fantômes, les hantises, comme des phénomènes inquiétants. Au point d`oublier, parfois, qu`ils sont en quelque sorte naturels, porteurs de présence et de mémoire. Sans doute, aussi, de créativité. L`Avancée de la nuit parle de ces héritages multiples, obscurs ou lumineux. Et de la façon dont ils façonnent, individuellement et collectivement, le monde dans lequel nous vivons.
La fin d`un amour appartient également à cet amour. Et elle en dit quelque chose, elle aussi. Pour les personnages que sont Paul et Amélia, la passion qu`ils vivent très jeunes évolue, les sentiments se transforment. Pour autant, un lien persiste entre eux. Les grands amours nous laissent quelque chose, de tangible ou non – ça peut être un enfant que l`on adore ou un regard plus riche, plus vaste, sur le monde... Et le fantôme d`un amour, c`est peut-être aussi une façon d`aimer encore.
« Si le monde est grand, on ne peut pour autant en sortir » – reste, alors, à le changer : c`est à cela que s`emploient mes personnages, en particulier celui de Louise dans la dernière partie du roman. Et c`est aussi cela, pour moi, la visée du roman.
S`il n`y en avait eu qu`un, je n`aurais sans doute jamais écrit..
Disons La Montagne magique de Thomas Mann.
En français, Blaise Cendrars. En anglais, William Faulkner.
Peut-être Le Tour d`écrou, d`Henry James. : une histoire de fantômes, ou une histoire de folie, ou les deux à la fois.
J`ai enfin lu Dracula de Bram Stoker, je ne rougis donc plus de rien.
Je vais bientôt traduire l`Américaine Eve Babitz. En France, on ne la connaît encore que pour la photographie où elle joue (nue) aux échecs avec Marcel Duchamp, mais c`est avant tout une grande auteure.
Je ne dis plus de mal des classiques car j`ai découvert qu`un livre qui me déplaît un jour peut me plaire follement dix ans plus tard. Les classiques sont par définition des livres qui ont survécu : au temps, aux modes, aux humeurs individuelles.
« Moi, j`avais été invité pour de vrai » dit (en substance) le narrateur de Gatsby le Magnifique de Francis Scott Fitzgerald. J`y pense à chaque fois que je me demande ce que je fais là.
Nina Allan. Son roman La Course, paru aux éditions Tristram, est une merveille.
Découvrez L`Avancée de la nuit de Jakuta Alikavazovic aux Editions de L`Olivier et en livre de poche aux éditions Points :
Entretien réalisé par Nicolas Hecht.
Avec Lucie Taïeb et Jakuta Alikavazovic. Modération : Élodie Karaki Jakuta Alikavazovic est écrivaine. Histoires contre nature, 2007. Corps volatils, prix Goncourt du premier roman en 2008. La Blonde et le bunker, 2012. L'Avancée de la nuit, paru en 2017, élu « révélation française de l'année » par la rédaction du magazine Lire. En 2019, elle contribue chaque mois à la chronique « Écritures » de Libération. Elle écrit par ailleurs des livres pour la jeunesse publiés à l'École des loisirs. Lucie Taïeb est enseignante-chercheuse, traductrice de l'allemand, poète et écrivaine. A publié des textes en revue remue.net, plexus-S, z:, aka, Action restreinte, ce qui secret, des essais : Feshkills.Recycler la terre, éditions Varia 2019, Territoires de mémoire, 2012. Plusieurs recueils : peuplié, 2019, Tout aura brûlé, Les Inaperçus, 2013, La Retenue, LansKine, 2015 ; des traductions de l'allemand, dont Cruellement là, de Friederike Mayröcker, Atelier de l'Agneau, 2014. Et deux romans aux éditions de L'Ogre : Les Échappées, prix Wepler Fondation La Poste 2019, et Safe, 2016. Élodie Karaki est critique littéraire, docteure en littérature et diplômée de Sciences-Po. Élodie Karaki anime des rencontres littéraires dans différents lieux et manifestations.
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L'Avancée de la nuit de Jakuta Alikavazovic
Le silence est un organisme. Il est vivant et il s'infiltre .
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Comme un ciel en nous de Jakuta Alikavazovic
Les musées nous ont habitués à l'idée que les oeuvres ont été faites pour être vues. Qu'elles sont faites pour la lumière, pour les regards. Notre passion du visible est devenue une passion de la visibilité. Les écrans ont fait pour nos corps et nos visages ce que les musées ont fait pour les oeuvres - ces écrans miniaturisés jusqu'à tenir dans nos poches, à nos poignets. Les hommes qui, comme mon père, ont des secrets et les gardent semblent presque appartenir à un autre monde. C'est une autre façon - temporelle, morale, plutôt que géographique - d'être étranger. Etranger à une époque où notre goût pour l'exposition a basculé dans celui de l'exhibition. |
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Irina vs Irina de Jakuta Alikavazovic
" Après le divorce ma mère m'a laissée avec mon père par ce qu'elle avait mille raisons de vivre quand lui n'a que moi."
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L'Avancée de la nuit de Jakuta Alikavazovic
« Lui, la tête lui tournait de toute son ignorance.Au fond il vécut son premier amour comme une détresse , un deuil aigu de tout ce dont il avait ignoré l’existence, de tout ce qui lui avait manqué jusque- là sans qu’il sache même que cela lui manquait , une nostalgie le dévorait qu’Amélia ne pouvait pas comprendre. »
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Irina vs Irina de Jakuta Alikavazovic
"Etre joignable, c'est une erreur à ne pas faire. Je ne me laisse pas faire. Je veux être un loup, pas un chien. Je caresse même l'espoir, quand l'adolescence aura pleinement pris possession de mon corps, de devenir un loup garou."
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Comme un ciel en nous de Jakuta Alikavazovic
L'amour de mon père était un ciel en moi, sa réalité aussi évidente que celle du ciel au-dessus de ma tête, que je le voie ou pas.
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Comme un ciel en nous de Jakuta Alikavazovic
Cette petite ne parlera jamais français. Et lui me l’avait raconté. N’avait pas pu s’en empêcher. Pas tout de suite, bien entendu. Pas sur-le-champ, à l’époque où en effet je ne parlais pas français, où je ne parlais d’ailleurs pas du tout. Mon père n’était pas cruel. Il a attendu non seulement que je le parle, le français, mais que je l’écrive. Que j’obtienne le Goncourt du premier roman. Alors il me l’avait dit. Mon succès, si modeste fût-il, était sa revanche ; et j’avais compris combien ma main, celle qui encore aujourd’hui écrit au stylo – combien cette main que je croyais mienne, et qui l’était, était aussi celle qui prolongeait, qui achevait un bras que je croyais mien, et qui l’était, mais qui en même temps était le bras de mon père. Le bras armé de mon père. |
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Comme un ciel en nous de Jakuta Alikavazovic
Que transmet-on à sa fille, sa fille unique, quand on a renié son passé ? Quand on a pu ou cru pouvoir se réinventer, dans un autre pays, une autre langue ? Mon père m'emmenait au Louvre. L'histoire de l'art est une histoire de fantômes pour grandes personnes, me disait-il. L'histoire de l'art, c'est ce qu'il m'a transmis à la place de son histoire à lui, savamment effacée et redessinée au gré du temps. (p. 34)
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L'Avancée de la nuit de Jakuta Alikavazovic
Il avait coupé les ponts, ou croyait avoir coupé les ponts, ou essayait de couper les ponts avec son milieu, auquel il ne pensait pas comme à un milieu, mais comme à un incident, plus que cela même, un accident.
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Comment s'appelle le garçon que Lev rencontre après avoir trahi Connor et Risa ?