L'ombre du soleil

J'ai promis à mon père de ne pas rester longtemps au Koweit. La société Abou Ajaj est une pieuvre. C'est une société qui fait commerce des hommes et des titres de séjour. Elle nous dépouille de notre argent et nous laisse à la rue. (p. 93)

Mon père veut que je reste en Egypte. Qu'est-ce que je suis en Egypte ? Un enseignant d'arabe, raté. J'aurais dû partir au Koweït depuis l'obtention de ma licence à l'université, au pays u pétrole et de l'argent. Le salaire d'une journée au Koweït équivaut à un salaire mensuel en Egypte. (...)
Je vais faire mes adieux à la pauvreté et construire une maison à Sanya, la maison dont elle n'a jamais rêvé. (p. 60)

Saniya ne supporte pas mon silence. Une fois, elle m'a dit : "Je sais bien que c'est dans ta nature, mais ton silence me fait peur. J'aimerais ouvrir ton crâne pour savoir à quoi tu penses " (p. 21)

J'ai appris que l'exil, ce n'est pas seulement de vivre loin de son pays, mais qu'il consiste aussi à endurer l'avilissement, la misère, la fatigue, la peine et les regrets.
Cinq mois qui m'ont appris que les mots ne sont rien comparés à la douleur, à la mort que l'étranger porte en lui, et qu'il doit, en dépit de son immense peine, rester debout, résister. (p. 129)

J'étais derrière les barreaux. Je voyais devant moi un panneau sur lequel on lisait "Interdit de fumer". J'ai imaginé de nombreux autres panneaux couvrant toute la pièce: "Interdit de changer de carte de séjour", "Interdit de travailler", "Interdit de gagner sa vie", Interdit de voyager", Interdit de repartir", "Interdit d'épargner de l'argent", "Interdit de monter", "Interdit de descendre", "Interdit de dormir", "Interdit de se réveiller" (...) , "La fille est interdite", "Le garçon est interdit", Interdit, Interdit...
Le Koweit est interdit.
La vie est interdite. (p. 184-185)

Un ciel dont la face était criblée par un air jaune et poussiéreux, un air provenant de la fournaise du désert. J'ai interrogé Dsouqui à son sujet, il m'a répondu : "le touz !"
C'est un vent de poussière très fine, hypocrite, qui souffle dans toutes les directions, qu'aucun obstacle, qu'aucun rideau ne peut arrêter. Une poussière maligne qui pénètre partout. Des fois, je la sens sous mes cils, sur mon cuir chevelu et entre mes dents. Active la nuit, elle couvre la terre sèche, une terre stérile, une terre jaune, sans âme, où ne pousse aucun arbuste.

Ce soir-là, je m'étais dit : qu'est-ce qui va me lier à cet homme ?
Demain, je commencerai à travailler avec l'ingénieur Rajaï, en tant qu'ouvrier dans une entreprise de sanitaires. L'enseignant de langue arabe en Egypte devient ouvrier au Koweit. (p. 64)

L'éditorial écrit par Mohamed Rmihi a comme titre : "Peut-on se débarrasser de la pauvreté ?" Il y montre que le fossé entre les pays riches et les pays pauvres s'est creusé et a augmenté plus de soixante fois. On ne peut donc pas se débarrasser de la pauvreté. Elle est la loi de la vie, et elle continuera à exister jusqu'à la fin du monde. (p. 89)

Avant-propos

(...) J'en suis arrivé à - L'Ombre du soleil-, après avoir passé près de quatorze années à travailler dans le domaine du génie civil, ce qui m'avait donné alors l'occasion de fréquenter les grands chantiers de construction et de découvrir les lieux de vie des ouvriers, leur existence marginale, leur vie obscure. (p. 11)

Le Koweiten ne travaille jamais comme ouvrier. La société a recruté une armée d'hommes, une forêt de visages et de langues, un mélange d'Arabes, d'Indiens, de Sri-Lankais, d'Afghans, de Chinois, de Philippins, de Pakistanais, et des ingénieurs dans les différentes spécialités (...) (p. 135)