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Critique de raton-liseur


Ce n'est pas facile d'écrire après la lecture d'un tel livre. Ahmet Altan fait partie de ces nombreux intellectuels enfermés arbitrairement par un pouvoir en plein durcissement après le coup d'état manqué de juillet 2016. Son dossier a suivi son cours et, malgré de nombreux rebondissements, ce journaliste de 69 ans est aujourd'hui encore en prison, condamné à la réclusion à perpétuité. Malgré deux romans déjà parus en France, je ne connaissais pas cet auteur et c'est grâce à une note de lecture d'une lectrice dont j'apprécie souvent les choix de lecture que je me suis laissée convaincre.
Et bien m'en a pris. C'est une lecture qui ne laisse pas indifférent. C'est toujours difficile de trouver les bons adjectifs dans ce genre de situation : le livre évoque des évènements sombres pour un pays, tragiques pour un homme, comment dire que l'on a aimé cette lecture malgré son côté éprouvant, malgré ce qu'il décrit.
Eprouvant, ce livre, parce qu'il décrit une situation véritable. Mais pourtant, pas du tout plombant, si je peux me permettre d'utiliser ce mot. Parce que tout cela est passé au filtre de la distanciation dont est capable l'auteur. Il vit son incarcération à la fois dans sa proche chair, et comme un spectateur qui intellectualise cette expérience. Il le dit à plusieurs reprises, aucune porte ni aucun mur ne résiste à un écrivain.
Mais ce n'est pas seulement cette force de l'imagination ni cette culture qui rendent la lecture de ce livre si bouleversante. C'est la façon tellement détachée avec laquelle il décrit son expérience. Sentant bien que le juge est plus embêté que lui de cette mascarade judiciaire : l'un y laisse sa liberté, l'autre loupe l'heure du café. Ce détachement et cet humour m'ont parus parfois de la fanfaronnade, mais une fanfaronnade nécessaire parce qu'elle permet de survivre à ces conditions d'enfermement, et une fanfaronnade d'un grand panache.
C'est un texte fort, publié dans différents pays mais bien sûr pas en Turquie. L'éditeur est étrangement silencieux quant à la façon dont ces textes ont été sortis de prison, et peut-être ce silence est-il nécessaire. C'est d'ailleurs un texte peu structuré qui est ici donné à la lecture. Si l'on suit globalement la chronologie des faits judiciaires, mais les textes sont toujours courts, et s'y intercalent des réflexions, des pensées, des rêveries.
En définitive, ce livre, avec ses petites imperfections, est, j'imagine, un reflet fidèle de son auteur. C'est une lecture poignante et paradoxalement pleine d'espoir. C'est aussi un livre qui m'emplit d'un grand respect pour Ahmet Altan, pour la façon dont il affronte sa détention. Je ne connaissais pas cet homme avant, ni son combat ni ses écrits. Je suis maintenant tout simplement admirative de ce qu'il réussit à transmettre dans ce court texte. Je n'ai pu m'empêcher de le comparer à Jean Zay dont j'ai lu il y a un peu plus d'un an des extraits de ses textes de captivité. le contexte est différent, leur attitude face à l'adversité est aussi différente, mais c'est la même dignité inaltérable, la même capacité infinie à trouver en soi les ressources de sa propre liberté.
Je referme ce livre avec un étrange mélange de serrement au coeur et de chaleur. Serrement au coeur car cette détention ne devrait pas même être et une chaleur pour l'espoir qui transpire de ce texte. L'espoir que l'esprit est malgré tout plus fort, que c'est l'intelligence qui triomphera parce qu'on ne peut l'étouffer.
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