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L'écrivain et journaliste turc Ahmet Altan a été emprisonné lors de la vague d'arrestations consécutives à la tentative de putsch de 2016 en Turquie. Ses caractéristiques : il est célèbre et, favorable à l'opposition, s'est exprimé dans le passé contre le gouvernement en place. Aujourd'hui âgé de soixante-neuf ans, condamné à perpétuité sans motif connu ni procès digne de ce nom, il a écrit ce livre du fond de sa cellule.


Voici une lecture qui laisse abasourdi et sans voix, horrifié de cette flagrante et révoltante atteinte aux droits de l'homme, mais tout autant étonné de la force de cet auteur, de taille à résister à l'anéantissement et, toujours, à faire entendre une voix que tout contribue à faire taire. Digne et douloureux, ce texte est un véritable pied-de-nez à l'oppression, la démonstration du pouvoir des mots, capables de traverser les murailles et de donner son vrai sens à la liberté.


Etonnamment légère et facile à lire, l'écriture est magnifique : éclairée, cultivée, profonde et élégante, elle impressionne par la sagesse et la qualité de ses réflexions, elle émeut par son humour et sa poésie, et elle vous plonge dans un profond respect tant pour l'auteur que pour son oeuvre. Ce témoignage d'une injustice et d'une expérience d'enfermement que le lecteur ressentira presque physiquement, est aussi un essai philosophique et un formidable hommage à la littérature, à la force des rêves et à l'indomptabilité de l'esprit. Tant qu'il y aura des livres, la pensée et les émotions seront toujours libres de voyager. Au-delà du coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Emprisonné pour des raisons fallacieuses, l'écrivain turc Ahmet Altan s'efforce d'échapper mentalement à son immonde cage. Il efface la saleté, la promiscuité, la touffeur de sa cellule en rêvant de la neige glacée sur son visage, des auteurs qui l'ont profondément marqué, des femmes, qu'ils aiment et qui ont souvent nourri son oeuvre, de Dieu et des croyants — lui l'agnostique. Et lorsque le pire se produit, quand l'espoir n'est plus permis face à une condamnation inique, Altan décide de se battre. Avec le seul moyen à sa disposition, celui qu'il a utilisé pour bâtir son oeuvre : la force de son esprit.
Un très beau témoignage, ironique, poétique, psychologique, politique, d'un homme aussi intelligent que cultivé et inspiré.
À lire pour son souffle et son humanité.
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Il est des pays où dire ce qu'on pense n'est pas la meilleure idée qu'on puisse avoir pour couler des jours « mal » heureux. La Turquie fait partie de ces nombreux endroits où la parole est en liberté conditionnelle, où le mot est sous surveillance, le verbe épié, disséqué, condamné.
Ahmet Altan, écrivain et journaliste Turc a été emprisonné et condamné à perpétuité quelques jours après la tentative de putsch contre Erdogan en 2016. La raison invoquée ? Avoir critiqué le gouvernement dans une émission de télé la veille et ainsi, selon Erdogan, avoir appelé à la révolte. En gros pour le pouvoir, il fait partie des instigateurs du coup d'état manqué.
Je ne reverrai plus le monde, ce sont des textes écrits en prison qui ont été sortis feuille après feuille par ses avocats.
Alors que je m'attendais à une charge sur la politique Turque, le nationalisme, la religion ou la liberté d'expression, alors que j'espérais, pour l'auteur, voir que les conditions d'emprisonnement avaient changées depuis Midnight Express (du fabuleux Alan Parker sur un scénario du non moins génial Oliver Stone), alors que… je sais qu'il ne faut jamais faire l'histoire avant d'avoir ouvert un livre, j'ai été surpris. Surpris par le ton du bouquin qui prend toutes mes attentes à contre pied de la plus belle manière qui soit.
« J'écris ces lignes depuis ma cellule. Mais je ne suis pas en prison. Je suis écrivain. Vous pouvez m'emprisonner mais vous ne pouvez pas me garder ici. Comme tous les écrivains, je suis magicien. Je peux traverser vos murs sans mal. »
Tout est dit, Ahmet Altan a choisi de nous dire le chemin qu'il a pris pour vivre sa détention arbitraire. Comment résister et ne pas se montrer abattu aux yeux de « l'ennemi », ne jamais lui donner l'espoir de son renoncement. Un moment de rêve, de méditation, un instant de poésie, furtif, fugitif et voila l'auteur de l'autre coté du mur.
Rien d'extraordinaire dans ces instantanés, rien de révolutionnaire dans ces petits textes et ces tranches de vie mais pourtant, assemblés les uns avec les autres, tous ensembles, quel grand livre.

Il m'est tout de suite venu un texte, une chanson après cette lecture, une des plus belles (lui qui n'a fait que des plus belles) de Daniel Balavoine à mon avis :

https://www.youtube.com/watch?v=DpY1kQiKHmA

Sous la torture
Derrière les murs
Les yeux remplis d'effroi
L'homme aux voeux purs
Souffre et endure
Les coups sourds de la loi
Noyés par les bulles rouges
Ses mots muets
S'élèvent et s'écrasent sur la paroi
L'écrivain plie mais ne rompt pas
Ressent une étrange douleur dans les doigts
Délire en balbutiant qui vivra vaincra

Dans la cellule du poète
Quand le geôlier vient près de lui
Quand plus personne ne s'inquiète
L'homme que l'on croyait endormi
Frappe avec sa tête

A court d'idées
Ils t'ont coupé
Et ta langue et les doigts
Pour t'empêcher
De t'exprimer
Mais ils ne savent pas
Qu'on ne se bat pas
Contre les hommes
Qui peuvent tout surtout pour ce qu'ils croient
Et l'homme infirme retrouve sa voix
Défie le monde en descendant de sa croix
Et sort la liberté de l'anonymat

Dans la cellule du poète
Quand le geôlier vient près de lui
Quand plus personne ne s'inquiète
L'homme que l'on croyait endormi
Frappe avec sa tête
Frappe avec ta tête...
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Voilà bien un livre poignant !
Le régime de Recep Erdogan, en réponse à la tentative de putsch, a procédé à de très nombreuses arrestations. Elles visaient des professeurs, des juges, des intellectuels soupçonnés d'hostilité au régime.
L'écrivain turc Ahmet Altan s'attend à subir le même sort, sa valise est prête et lorsqu'à 5 h 43 on sonne à la porte, il sait que c'est la police. Il est arrêté pour un motif qui paraît absurde : avoir fait passer la veille un message subliminal à la télévision…

Au travers de dix-neuf courts chapitres, il nous conte son arrestation, ses interrogatoires, la vie en prison, sa cellule, ses voisins de chambrée, son jugement, mais par dessus tout sa force de caractère et sa résilience : lorsqu'on le conduit en prison, un officier lui offre une cigarette et il répond « ne fumer que lorsqu'il est tendu », par là il affirme ne pas vouloir se conformer à l'attitude qu'on attendrait d'un prisonnier, ou encore lorsqu'il profère ces mots «Me jeter en prison était dans vos cordes ; mais aucune de vos cordes ne sera jamais assez puissante pour m'y retenir. Je suis écrivain », le pouvoir de l'écriture et des mots est fort, l'imagination, le rêve lui permet de s'évader, il s'imagine visiter les flores de Norvège, les îles de Thaïlande et tant d'autres lieux.

Il nous fait part de son amour des livres depuis sa petite enfance, sa vénération pour Tolstoï.
C'est le récit d'un homme volontaire refusant l'idée d'être enfermé à perpétuité.
Il aborde de nombreuses thématiques :le temps, un concept sans signification en prison, la religion, il est incroyant et est incarcéré avec deux détenus qui ne le sont pas, il nous décrit avec humour le simulacre de son procès, nous montre ce qu'est un régime totalitaire et l'absence de démocratie.

Tout cela nous est présenté par des phrases courtes et percutantes.

C'est pour moi un livre important.
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C'est toujours très difficile de lire un livre d'un auteur Turc. Que ce soient Ohran Pamuk, Hakan Gunday, Asli Erdogan ou Ahmet Altan, les seuls que j'ai lus jusqu'à présent, on n'en ressort jamais indemne. Tant la réalité qu'ils décrivent est effrayante. J'aime beaucoup ce pays. Je l'ai traversé de la frontière Arménienne aux rives de la mer Egée, de Antioche à Istanbul, en passant par le grand centre Soufi de Konya, à la découverte de sites incomparables, où toutes les civilisations se sont croisées, et d'une population extrêmement chaleureuse et accueillante. Mais jamais le voyageur, jamais, ne se douterait des effroyables exactions qui se déroulent dans ce pays. Depuis le putch raté de 2016, Erdogan est devenu complètement paranoïaque, voire psychopathe. Ces « Textes de prison » remettent les pendules à l'heure. L'auteur y décrit son arrestation, complètement arbitraire, basée sur la délation. Puis son incarcération et la vie en cellule à laquelle il s'efforce de s'habituer. Cette mascarade, cette parodie de justice à laquelle lui et ses compagnons de cellules sont soumis lors du procès est à peine croyable. Idem pour son passage à l'hôpital. On assiste à sa « voix intérieure », pour ne pas sombrer dans la folie. S'émerveillant ici de pouvoir lire Tolstoï, se réjouissant là de recevoir avec parcimonie, quelques nouvelles de ses proches… Les chapitres sont courts, reflets de pensées personnelles ou simples descriptions de situations vécues dans la trivialité de la promiscuité que l'on peut imaginer.
Il faut lire ce livre, déjà par respect pour son auteur, puis pour se dire que nous avons la chance de vivre dans un pays où, pour le moment, on jouit d'une liberté incomparable. Même s'il faut toujours être à l'affût.
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Sans l'insistante recommandation de ma libraire favorite, je n'aurais probablement pas acquis et lu Je ne reverrai plus le monde de Ahmet Altan, traduit par Julien Lapeyre de Cabanes. Et ça aurait été bien dommage.

Du fond de sa geôle turque, feuillet après feuillet, Ahmet Altan a fait sortir ce témoignage incroyable sur une justice du XXI siècle aux relents arbitraires dignes du Moyen Âge. Journaliste et romancier, Altan est incarcéré à perpétuité pour complotisme et tentative de putsch. Loin d'être abattu ou résigné, il choisit la lutte par l'acceptation, l'évasion par le rêve, la survie par la poésie, le salut par l'écriture. Il choisit d'être un écrivain avant d'être un prisonnier, c'est-à-dire « d'être ni là où je suis, ni là où je ne suis pas ».

C'est beau, c'est fort, c'est marquant. Témoignage de politique internationale, essai philosophique, tranches de poésie, fulgurances littéraires… Les angles ne manquent pas pour apprécier ce livre, procurant pour ses futurs lecteurs autant d'occasions de s'y plonger sans tarder.
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Témoignage éblouissant d'Ahmet Altan sur son séjour dans une prison turque, suite au putsch manqué de juillet 2016.

Comment tenir le coup quand on est arrêté de façon arbitraire, sur base d'un chef d'inculpation infondé et d'un semblant de procès ? Comment ne pas sombrer quand on est enfermé dans une cellule à trois, «enfermés à chaque minute. Issus de milieux différents, différant encore par la culture, l'éducation, les moeurs et le genre de plaisirs que nous aimons, notre réunion dans une cellule ressemble à une collision de trains.[...] Comme si ce n'était pas le directeur de prison qui nous avait réunis dans cette cellule, mais un auteur de théâtre, lequel, pour faire de sa pièce un succès, aurait misé sur les tensions et contradictions inhérentes à nos personnalités. » ? Comment ne pas tourner en rond, ne pas devenir fou ? « Il est des moments où l'être humain sent qu'il marche au bord de la folie ; j'en avais connu un dans ma jeunesse. Il fallait faire un pas en arrière. Un pas de recul et je serai à nouveau du bon côté de la ligne à ne pas franchir. »

Mais surtout comment y croire encore quand l'espoir d'une libération semble vain ? Mais par les livres, pardi. Livres qu'on lit, et Altan de citer Borges et Pouchkine qui le soutiennent dans ce confinement forcé. Et livres qu'on projette un jour d'écrire, car toujours persiste le projet d'écriture. Des livres nourris par les rêves faits en prison, « qu'ils soient réalistes ou impossibles, il m'arrive d'être frappé par une image, une voix, un visage, un phrase, qu'aussitôt, tel un chercheur d'or passant le sable au crible, soigneusement j'isole en vue d'un roman à venir.»

Survivre en séparant le corps, emprisonné, et l'esprit qui reste libre pour autant qu'on décide que « jusqu'à ce jour, pas un matin je me suis éveillé en prison », dans une sorte de schizophrénie, qui n'est pas sans rappeler « le vagabond des étoiles » de London, ni l' « éloge de la fuite » de Laborit, ni encore les poèmes d'Hikmet, car « Être captif, là n'est pas la question. Il s'agit de ne pas se rendre, voilà ! ». (Hikmet)

Quelle force ! Une belle leçon de résistance et de résilience.
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Emprunté à ma bibliothèque - 21 mai 2023

"L'une des choses les plus insoutenables de ma vie en prison était de devoir me passer de livres.
(...) Enfin , un matin, alors que j'avais presque perdu espoir, j'ai entendu un bruit de clapet du côté de la porte, et un livre est tombé dans la cellule.(...)
La vie semblait soudain s'être libérée de ses chaînes, comme un morceau de terre mal arrimé s'arrache au continent dans un bruit de cassure énorme.
Je n'étais pas fini, je n'étais pas abandonné, je n'étais pas perdu.
J'avais un livre.
" Les Cosaques" de Tolstoï.
Léon Tolstoï, ce Zeus de la littérature, entrait dans ma cellule avec ses mille paradoxes.
Le génial écrivain était là, devant moi, surgi d'un lieu inespéré, avec son art de raconter (...)"

J'ai débuté par cet extrait plus marquant d'un des chapitres intitulé "Les fées de la forêt"
( représentant les livres , les histoires, les fictions...) donnant le ton de cet écrivain arbitrairement emprisonné, avec au départ l'annonce d'un " enfermement à vie" !!...
Une vitalité ,une résistance de vie, une force de création hors du commun...

Je reviens au choix d'emprunter cet ouvrage, après ma lecture plus qu'enthousiaste de "Madame Hayat", n'en revenant toujours pas que roman fut écrit en prison...ma curiosité fut "piquée" pour prendre connaissance de ces "Ecrits de prison "...

Ce qui fut une excellente idée offrant une leçon de courage exemplaire et difficilement oubliable!

Quelle force mentale pour garder la force, l'envie de "Faire", d'"Ecrire" encore et encore.... Dans un même temps, l'écriture, l'imaginaire, la Littérature sont des formidables "boucliers", stimulants à l'Arbitraire, au Mal...

De courts chapitres thématiques oscillant inévitablement du très sombre à la lumière, au moindre rayon se présentant !

Parmi les nombreux sujets évoqués, (car Altan a une pudeur extraordinaire : pas question de "larmoyer" , de discourir sur "le courage"...ou de se poser en victime ) : La peur, les rêves, les mauvais traitements (dont le récit "tourneboulant" de la confiscation de tout "miroir", contribuant cruellement à la négation de chaque prisonnier), la vie quotidienne en cellule, la cohabitation avec les autres détenus, les auditions, les parodies d'interrogatoire, la présence essentielle des livres, les visites trop rares des proches, un chapitre autour d'un texte offert dans le passé par son père, qui lui sert d'appui et d'objet de réflexion : "Voyage autour de ma chambre" de Xavier de Maistre... devenu "Voyage autour de ma cellule"... car en dépit du drame de l'univers carcéral terrible qu'il subit quotidiennement, Altan ne se départit pas d'un certain recul et d'une ironie réjouissante !

Les sujets les plus repris sont évidemment ceux de L'Ecriture, des divers processus de la venue de l'inspiration, ce qui provoque en lui l'envie de débuter un texte ou un roman... Et le plus inimaginable, c'est que pendant ces années de prison, il ne pouvait, par sécurité, ne rien mettre par écrit, seulement tenter de "mémoriser" tout ce matériau dans sa tête. Cela laisse perplexe et surtout totalement admiratif des capacités humaine morales et intellectuelles dans des circonstances de barbarie absolue... On ne peut s'empêcher de songer à tous les poètes, écrivains russes dissidents, parvenant à mémoriser leurs textes et poèmes, au Goulag... !!?

Une admiration sans bornes pour ce grand Monsieur...un Juste et un écrivain captivant... Je vais achever par la phrase incontournable de ces "écrits de prison" !!

"Je suis écrivain. Je ne suis ni là où je suis, ni là où je ne suis pas. Vous pouvez me jeter en prison, vous ne m'en­fermerez jamais. Car comme tous les écrivains, j'ai un pouvoir magique : je passe sans encombre les murailles."
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Je ne reverrai plus le monde - Textes de prison est le titre complet du livre d'Ahmet Altan. Sur une accusation qu'il a dénoncée comme grotesque — avoir envoyé des messages subliminaux pendant une émission télévisée — il a passé cinq ans en prison.

Ahmet Altan raconte ses premiers jours de prison, alors qu'il était enfermé avec d'autres personnes dont il ne saura rien, même ce jeune et énigmatique professeur qui passe son temps à prier, isolé dans son dilemme : être libéré en dénonçant les autres, ou subir de longues années de prison.

Il nous étonne aussi par des problèmes inattendus : perdre son visage parce qu'on n'a pas de miroir, il voit son corps, ses mains, ses pieds, mais jamais son visage.

Et enfin, il nous explique ce qu'a été son procès, si on peut appeler ça un procès, la pression sur les juges : envoyer en prison ou être envoyé en prison. Il en rencontre certains qui sont passés de l'un à l'autre en moins de temps qu'il faut pour le dire.

Il réfléchissait au courage, se déniant cette qualité que je lui reconnais, pourtant. Qu'il le veuille ou non. Il réfléchissait à Dieu, à la littérature. Il écrivait. Grâce à l'écriture, la prison s'effaçait. En oubliant, il retrouvait la liberté.

Lien : https://dequoilire.com/je-ne..
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Peut-être les avocats sont-ils quelques fois attachants quand eux-mêmes détournent les règles.

Feuillet après feuillet, mêlé entre les écrits de procédure, les conclusions et les documents de défense de ses avocats, Ahmet Altan a fait sortir son livre de prison. Par pièces détachées, avant qu'elles ne soient rassemblées au dehors.

Ce livre est d'abord un livre traduit. Il n'a pas été publié en Turquie. Et la traduction française par Julien Lapeyre de Cabanes est excellente.

Ahmet Altan s'est fait arrêter dans la vague de répression arbitraire qui a suivi le coup d'état manqué en Turquie en juillet 2016.

Ce n'est pas un livre sur la politique (c'est un texte politique, un texte engagé et entier mais il ne traite pas des rouages politiques en tant que tels). C'est un livre sur la prison. Sur l'enfermement, sur la force de l'esprit et l'importance de la littérature. C'est un livre qui parle de Toltsoï et de la "poignée de ciel" aperçue entre les barreaux. La mélancolie d'un baiser qu'on ne peut plus donner.

C'est avant tout très beau.

Sur la création, sur la capacité à inventer, à utiliser les profondeurs de son cerveau, il dit cette phrase magnifique :

"Me jeter en prison était dans vos cordes ; mais aucune de vos cordes ne sera jamais assez puissante pour m'y retenir.
Je suis écrivain.
Je ne suis ni là où je suis, ni là où je ne suis pas."

C'est d'une grande force, celle qui amène à la sérénité parfois. Poétique souvent, drôle puisqu'il s'agit de survivre.

La poésie d'abord dans les discussions avec les autres détenus au dessus des murs, sans voir les visages :
"Selman : 'Les oiseaux sont de retour'.
La voix : 'Oui, en ce moment je nourris une perruche... Elle est née dans la prison, puis sa mère est morte. Depuis, c'est moi qui l'élève..."
Selman : "Je ne l'ai encore jamais vue voler, votre perruche... J'ai pas eu cette chance, faut croire...'
La voix : 'Elle ne vole pas'. Puis, avec la tendresse d'un père qui s'inquiète pour son fils : 'Elle a peur du ciel...' ".

L'humour ensuite, quand une femme médecin liée à la prison lui demande "de baisser son pantalon" et qu'il pense d'instinct "vous d'abord", c'est une réplique pour continuer d'exister.

Ce livre découpé en courts chapitres est l'une des publications les plus belles de cette année.

Texte lu et débattu à l'Intime Festival de Namur.



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