Le soir, elle enfila une robe longue bleu-mauve pailletée, mit du rouge à lèvres, peignit ses ongles d'orteils, enfila ses sandales, sortit son collier de perles d'un écrin, et se rendit à une réception.
Le couple s'arrêtait de marcher en agitant les bras le long du ruisseau.
Théo passa les jumelles à Hans.
-Je ne vois rien.
-Ils sont sous les feuillages, regarde les pieds. J'adore !... Le cochon !...
Il murmura vite :
-Je ne vois que leurs pieds nus... ça marche magnifiquement !...
-Comment ?
-Qu'est-ce que tu vois ?
-Rien, simplement la robe rouge de Maria. Sa nuque est splendide.
-
Je voulais des dieux, une mer qui bouge, étincelle, éblouit et je me retrouve dans une maison des morts.
Elle sentit sa nuque se bloquer. Elle se sentit ouateuse, la bouche sèche. ,L'après-midi fut noir, obscur, terrible, la soirée interminable, désolée. Elle marcha le long des maisons du quartier puis gravit les collines bleutées mais rien ne la sauva du chagrin.
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Cette solitude l'auréolait d'un mystère, d'une absence-présence si bizarre qu'on se disait que Maria Eich était privée de destinée, qu'elle vivait un éternel et unique jour.
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Bertold avait vraiment du souci à se faire, il avait passé toutes ses années d'exil à essayer de comprendre comment le "racket émotionnel" du fascisme avait pu aussi bien fonctionner, plaire, entraîner les foules.
Elle lui échappait, elle ne faisait que ça d'ailleurs.
Elle entendait des paroles, voyait des objets, marchait, mais tout était désordonné, et si on lui avait demandé de parler de ce qu'elle éprouvait, elle se serait décrite comme un être qui vagabonde dans un monde sans consistance.
Le monde avait changé : il ne restait de l'Allemagne que des villes ouvertes à tous les vents et des bonnes volontés.
Entre un simple militantisme artistique et être une nouvelle recrue de la Sécurité d'Etat, il y avait un pas. Elle le franchit.