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Critique de Bernardbre


Irréductible du début à la fin de sa vie d'écrivain et de scénariste, Jean Meckert (1910-1995) ! le début, c'est "Abîme", "Le Bon Samaritain" et "Un meurtre", trois contes écrits alors qu'il a une vingtaine d'années. La "fin", c'est "Comme un écho errant", «roman» refusé par Gallimard en 1986, soit neuf années avant son décès, et qui relate l'expérience de sa propre amnésie. Dans ces deux livres opportunément exhumés du cimetière des inédits par les éditions Joseph K., on retrouve la faconde libertaire de l'auteur de "Les Coups" – roman d'abord publié par Gallimard en 1941 dont la réédition (posthume) dans la collection «Folio» en 2002 fut enfin très remarquée – et de celui qui signa du nom de Jean (ou John) Amila plus de vingt volumes de la «Série noire».
C'est une commande de scénario noir qui valut à l'antimilitariste «teigneux» la dernière et pire épreuve de son existence: retour de repérage à Tahiti, il écrit un brûlot sur les expérimentations nucléaires à Mururoa – et chimiques à Makatea – du gouvernement de la France, «notre beau pays champion de toutes les libertés», si impitoyablement accusateur qu'il se trouve illico «confisqué, honni, rejeté». Un soir de janvier 1975, Jean Meckert – passé la soixantaine – est retrouvé inanimé sur un trottoir de Belleville, où il vit, vraisemblablement agressé par des «justiciers anonymes» qu'on ne retrouvera jamais. Sorti du coma, puis de l'hôpital, peut-il raviver ses souvenirs éteints ? Bien qu'hostile à tout qui lui semble relever de la «provocation», sa soeur cadette Augusta, «si bonne et brave [...], coeur d'or mais bougrement autoritaire», parangon de conformisme ayant fait «carrière dans la domination», s'emploie à réparer cette «mémoire moignon» en bousculant sans ménagement son «vieil irresponsable de frère» pour lui redonner, d'abord, le goût de communiquer. Cette fermeté, toute fraternelle malgré le fossé idéologique et social qui les sépare («Tu pues le désordre»), portera ses fruits, même si Jean ne recouvrera jamais tout son «cerveau bizarrement amputé» ; après être longtemps resté incapable de taper sur sa machine à écrire, il va peu à peu ressusciter son «talent défunt» et son passé naufragé, reprendre du service dans le registre noir et entamer à la troisième personne la rédaction d'un «roman» (parti pris littéraire et appellation revendiqués en page de titre et dernière page), témoignage autobiographique de ce long travail d'anamnèse. Nouveau coup, Gallimard, malgré l'avis enthousiaste de Roger Grenier, refuse le manuscrit, au prétexte abscons qu'il hésiterait «entre biographie documentaire et roman psychologique».
Des "Coups", on retrouve la haine des classes instruites – «supérieures et méprisantes» –, de la guerre et des idées reçues en même temps que la désillusion face à «l'attrape-gogo de la fraternité humaine».
Mais déjà, tout Meckert était dans ses trois contes de jeunesse, qui entend trouver sa raison d'être» – son éthique personnelle – dans la lutte contre le régime («abominable, abject»), la société et l'humanité telle qu'elle lui apparaît – «sale bête monstrueuse et puante...». Qu'on ne s'y trompe pas pourtant, il n'y a là qu'inébranlable honnêteté, refus intraitable de tricher et volonté farouche de rester debout.
Aussi saluera-t-on sans réserve ces deux éditions qui attestent, s'il en était encore besoin, combien la lecture de cet attachant «séditieux» se révèle roborative, et confirment une personnalité aux principes inflexibles, ne cherchant jamais à passer pour autre que ce qu'il est, maître d'une écriture vive, alerte, immédiate, méfiante de tout effet, de toute préciosité de style, et hérissée – sans jamais en abuser – de piquantes formulations argotiques.

Chronique parue dans "Encres de Loire" n° 61, page 23
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