L'un des avantages des Masses Critiques Babelio réside dans la possibilité de se laisser tenter par des livres que l'on n'aurait autrement pas lu, intriguant mais assez éloignés de notre zone de confort. C'est le cas ici avec ces Aventures des quatre derviches.
Ce récit composé à l'origine au 14ème siècle a été remanié au 19ème siècle par
Mir Amman, un Indien dont on ne connait quasiment rien. Il réunit quatre derviches et un grand roi qui se racontent leurs mésaventures, à l'instar des Contes de Canterbury de Chaucer ou d'Hypérion de
Dan Simmons.
J'ai trouvé les particularités stylistiques plutôt attrayantes au début. Ainsi les histoires sont systématiquement enchâssées comme des poupées gigognes : un narrateur rencontre un individu qui va lui raconter son histoire, dans laquelle celui-ci rencontre un quidam qui va aussi se raconter, etc. J'ai aussi apprécié l'usage intensif des métaphores particulièrement bien maîtrisé.
Mais j'ai rapidement eu des difficultés à me concentrer sur ce que je lisais. Les raisons sont multiples. La forme d'abord, peu aérée, restreignant les changements de paragraphes, poussant à lire le récit comme on récite une sourate.
Le contenu ensuite. Il souffre d'un manque de diversité certain. Les personnages acquièrent des richesses au-delà de l'imaginable et les perdent aussi vite ; ils tombent en pamoison pour une jeune fille à la beauté féérique ou souffrent mille morts de ne pas être aimés ; ils voyagent certes, entre la Grèce et Ceylan, mais on n'observe aucune variété de décor : un palais reste un palais et un désert un désert. Quelques djinns et fées font leur apparition pour ranimer l'attention, heureusement.
Les anti-héros narrateurs souffrent d'un manque systématique de personnalité. Naïfs, ils font ce qu'on leur conseille ou ce qu'on leur ordonne sans se poser de questions et quelles que soient les conséquences. Ils n'apprennent jamais de leurs erreurs. Ils n'éprouvent que peu de sentiments hormis l'amour qui les paralyse, la détresse poussant à l'auto-apitoiement et, surtout, la joie de la soumission à Dieu.
L'amour de Dieu. C'est là le point principal auquel il faut être sensible si l'on veut apprécier le récit. L'absence de personnalité des héros est finalement l'état le plus efficace pour adorer le Créateur. Ici Dieu décide de tout, maîtrise tout, organise tout, bonheurs et malheurs. Et les héros passent leur temps à l'affirmer, à le prier de résoudre leurs problèmes et à louer son nom quand il accède à leurs souhaits. L'aspect « Légende dorée » de ce récit est patent. On pousse le lecteur à cesser de réfléchir, à poser son cerveau et à entrer dans la transe de la soumission à Dieu.
Bref, aux antipodes de l'humanisme.
Je remercie Babelio pour ses Masses Critiques, et les éditions Libretto également. Malgré le peu d'atomes crochus que j'ai eu avec ce récit, il me participera au tracé de la frontière qui sépare la littérature que j'apprécie de celle qui ne me fait pas monter au plafond.