J'ai découvert avec ce premier roman de
Ysiaka Anam un petit bijou à la fois intimiste, poétique et imagé, mais qui illustre avec profondeur l'exil et la perte de la langue maternelle, ainsi que la difficulté de vivre avec son « africanité » pour l'enfant de migrant.
La poésie se retrouve dans l'utilisation par l'auteur de métaphores, de construction de certains mots ou au contraire d'une utilisation de la langue qui permet de « sentir » le contenu de la phrase (mon ressenti assez difficile à expliquer) … le choix de passer par des contes pour imager certains concepts (la perte de la langue maternelle illustrée par la perte de la langue organe) participe aussi à cette atmosphère poétique. Cependant on ressent aussi une certaine frustration, une douleur, des peurs, dans le rythme de certaines phrases, hachées, coupées, reprises différemment … certains sentiments sont plus durs à exprimer, à extérioriser …
Sans pour autant révéler le contenu de l'ouvrage, on peut dire qu'à la fin de celui-ci, la narratrice – exilée très jeune en France - est arrivée à un tournant de sa vie qui lui permet enfin de commencer à s'affirmer en tant que « femme africaine » et surtout de comprendre que l'écriture va être son espoir, sa « petite pousse verte dans le désert ». Ce livre en est finalement le résultat de cette découverte. Elle y a « recousu » les « morceaux de tissu » éparpillés de sa vie, les réunissant ensemble comme dans le plan d'un patchwork, pour en obtenir une étude homogène et plus claire de son parcours.
On y découvre la petite fille « noire-paillasse » qu'elle aura tenté de cacher sous des tonnes de vêtements imaginaires par honte : honte du regard que les autres posaient sur elle à l'école, honte du regard qu'elle-même posait sur sa famille, et par contre-coup honte d'elle-même, de son corps de femme qu'elle juge maladroit, de sa couleur … mais surtout honte de perdre son appartenance à l'Afrique, sa culture, mais surtout sa langue maternelle …. Pour se protéger elle va refuser de « jouer » avec les autres, elle va rester « à côté » de la société sans laisser la porte ouverte … Apprendre, vivre, travailler … mais ne laisser personne avoir la possibilité de découvrir ce qu'elle cache, cette petite fille « noire-paillasse » de son enfance ... Ce roman est en quelque sorte une autothérapie pour apprendre à vivre « Avec » et non plus « A côté » de cette enfant, et des autres …
« Recoudre » les épisodes de sa vie est aussi le moyen de mieux comprendre les silences familiaux et leur cause. Car la langue, la communication, s'était aussi perdue dans sa famille. Ses parents ont aussi porté en eux leurs douleurs. Petit à petit, par ses rencontres, au travail, ailleurs, c'est reconstruire une appartenance à une « communauté noire » où chacun a certes des parcours différents, des difficultés, mais partage une couleur, l'accepter … finir par s'accepter aussi en tant que femme et non comme une enfant maladroite … C'est « se recoudre » soi-même, se reconstruire … un long cheminement …
On dit que lorsqu'on perd sa langue maternelle, lorsqu'on oublie ses racines, on perd une façon d'exprimer ses sentiments, des nuances, des expressions, des images propres à son origine …. Mais il en reste finalement peut-être toujours quelque chose …. Des rythmes, des couleurs, la poésie que l'on met dans ses textes … Je pense que l'auteur a trouvé dans ce roman SA langue propre, un mélange entre la langue de son pays d'accueil et les « échos » de sa langue maternelle … et elle est magnifique.
Il y aurait encore tant à dire tellement ce petit ouvrage est riche de contenus.
Merci aux Editions
La Cheminante et à Babelio Masse Critique pour cette belle découverte. Un auteur à suivre …