Citations sur Le pont sur la Drina (124)
Dès qu'un gouvernement ressent le besoin de promettre par voie d'affiches la paix et la prospérité à ses administrés, il convient de se méfier et d'en attendre tout le contraire.
Les désirs sont comme le vent, il déplacent la poussière d'un endroit à un autre, obscurcissant parfois l'horizon, mais finissent par se calmer et retomber, laissant derrière eux l'éternelle et immuable image du monde.
En effet, on a toujours une bonne raison de pleurer et rien n’est plus doux que de se lamenter sur le malheur des autres.
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Dans cette lutte acharnée et étrange qui, en Bosnie, opposait depuis des siècles deux communautés religieuses, et dont l’enjeu, sous couvert de religion, était la terre et le pouvoir, une certaine conception de la vie et de l’ordre des choses, les adversaires se disputaient non seulement les femmes, les chevaux et les armes, mais aussi les chansons. Et nombre de vers passaient ainsi d’un camp à l’autre, tel un précieux butin.
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À l’endroit où la Drina surgit de tout le poids de sa masse d’eau écumante et verte de ce massif apparemment clos de montagnes noires, se dresse un grand pont de pierre aux courbes harmonieuses, reposant sur onze arches à larges travées.
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En effet, ce grand pont de pierre, cette construction somptueuse à la beauté incomparable, comme n’en ont pas des villes beaucoup plus riches et beaucoup plus souvent traversées (« Il n’y en a que deux autres qui peuvent lui être comparés dans tout l’Empire », disait-on jadis), représente l’unique passage fiable et permanent sur tout le cours moyen et supérieur de la Drina, et il constitue un point de jonction indispensable sur la route qui relie la Bosnie à la Serbie, et, au-delà, aux autres parties de l’Empire turc, jusqu’à Stamboul.
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La vie sur la kapia renaissait toujours et en dépit de tout, le pont ne changeait ni avec les années ni avec les siècles, ni avec les revirements les plus douloureux dans les relations entre les hommes. Tout cela glissait sur lui, de même que l’eau tumultueuse coulait sous ses arches lisses et parfaites.
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Quand on ne peut rien y faire, il faut au moins sauver sa peau.
Maître Antonije fit venir de Dalmatie les plus habiles cordiers après avoir réservé toute la récolte de chanvre, même dans les districts avoisinants. Ces artisans, dans des bâtiments spéciaux, commettaient des cordes d'une solidité et d'une épaisseur extraordinaires. Les charpentiers grecs confectionnaient selon ses plans et ceux de Tossun efendi de grandes grues à poulie en bois, puis ils les plaçaient sur des radeaux et soulevaient, grâce aux cordes, les blocs de pierre les plus lourds pour les transporter jusqu'aux piles qui poussaient l'une après l'autre dans le lit de la rivière. Il fallait quatre jours entiers pour déplacer chacun de ces énormes blocs, depuis la berge jusqu'à sa destination finale, dans les fondations des piles du pont.
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Les jeunes gens dansaient la tête renversée en arrière, blêmes, les narines frémissantes, tandis que les jeunes filles, les joues en feu, gardaient timidement les yeux baissés, de peur que leur regard ne trahît la volupté qu’elles trouvaient à danser.
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