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Critique de gatsbi


Romancier, historien, professeur de lettres et... de MMA, on peut dire que Fabrice Anfosso a un background !
Je ne connaissais pas le bonhomme (terme spontané qui tente de traduire mon double respect pour l'érudition et l'ardeur au combat du gars (terme familier qui... bref !)). Je lis sur sa fiche qu'il n'en est pas à son premier roman, notamment dans la Fantasy, même si le succès ne semble pas encore là. C'est bien dommage, car voilà un auteur qui s'y entend pour ce qui est de raconter une histoire !

Bien qu'estampillé « roman fantasy » sur la couverture, « Le marcheur éternel» est un conte. L'auteur lui-même explique dans son excellente préface qu'il ne s'agit pas de Fantasy, mais ce qui en est à l'origine. le conte, le merveilleux, la légende ou le mythe, le tout imbibé de folklore, voici ce qui vous attend.

« Une histoire d'Eyvindur le proscrit. »
Comme le sous-titre l'indique, c'est l'histoire d'Eyvindur, Eyvindur Jónsson de son nom complet, qui a réellement existé dans l'Islande du XVIIIe siècle. Une certaine version de son histoire du moins, celle de l'auteur, qui s'est attaché à rechercher un juste milieu entre la volonté de respecter les faits les plus connus concernant la figure légendaire et celle non moins assumée de donner libre cours à son imagination. C'est donc une extrapolation. Une proposition originale.


Eyvindur est un jeune garçon tout ce qu'il y a de plus normal à la base, hormis le fait notable qu'il parvienne à courir plus vite que les chevaux. Ce talent n'est pas spécialement expliqué, et lui sera très utile tout au long de sa vie.
Plus tragiquement, il reçoit la malédiction d'une vieille femme après lui avoir volé un morceau de fromage. Celle-ci le condamne à ne plus pouvoir s'empêcher de voler.
Or, dans l'Islande de l'époque, celui qui se fait prendre « la main dans le sac » régulièrement ne fait pas de vieux os. C'est pourquoi la sorcière, dans un second temps, atténue son sort en garantissant qu'Eyvindur s'en sortira toujours.

Voici, posé, le pitch. Un pitch très classique, car on a tous en tête ces histoires issues de la mythologie, ces héros pourvus de pouvoirs incroyables mais avec, souvent, une faille.

Le roman entier est tout aussi classique dans son approche du conte, notamment sur la forme.
Il faut donc s'attendre à de nombreuses péripéties (il y a 360 pages tout de même).
Les faits comme les évènements sont décrits par un narrateur unique, lequel mentionne régulièrement tel ou tel rapporteur, vivant ou mort, ou bien telles preuve ou trace observables. le procédé est très plaisant je trouve. Cela ressemble aux préfaces des contes de Demain les chiens, de Simak.

L'écriture est impeccable (peut-être l'effet prof de lettres). C'est un régal pour peu qu'on aime le genre. Une écriture fluide, qui privilégie le déroulé des événements aux descriptions. Celles-ci, qu'elles concernent les décors, les pensées des personnages, ou encore le feu de l'action, sont toujours économes. Je pense en particulier aux quelques scènes de lutte : par déformation professionnelle, l'auteur aurait pu étirer celles-ci, les magnifier, mais non. Il se contente, avec une très grande maîtrise des mots et de la scène, de trois ou quatre phrases simples, avant de conclure la confrontation. La même concision décrit les péripéties et les tergiversations.

Eyvindur fait rapidement la connaissance de Halla, qui deviendra sa femme. D'autres personnages de moindre importance égrènent le récit. Une mention spéciale pour le charismatique magicien Saemundur qui m'a beaucoup plus, et ce dès la description stylée qui l'introduit.

La proposition de l'auteur me plait beaucoup, notamment dans sa recherche continuelle de creuser derrière les traits simplistes du conte classique :
- Héros ou antihéros. D'emblée, la malédiction d'Eyvindur le fait passer du mauvais côté : il est mis au ban de la société. Pourtant, sa résistance et son courage, notamment face à l'occupant danois, en font peu à peu une légende pour le peuple.
- Si la question de la morale est centrale comme dans tout conte qui se respecte, son traitement ici ne présente pas la clarté habituelle propre au genre. le manichéisme est présent du début à la fin, mais sur ce thème l'auteur se fait comme un malin plaisir de brouiller les cartes. Ainsi, l'opposition entre un Eyvindur cherchant à faire le bien une Halla mauvaise par nature est tempérée en plusieurs occasions.

D'ailleurs, le « bon fond » d'Eyvindur est régulièrement sapé par sa malédiction, et lorsque ce n'est pas le cas, c'est la dureté de la vie qui s'en charge :
« Lorsque tu n'auras plus de scrupules à arracher un bout de pain des mains d'un enfant affamé, tu auras peut-être une chance de survivre dans ce monde. » (lui enseigne l'un de ses compagnons d'infortune).


Il y a donc du tragique (et du très tragique parfois), mais pas que. le style prend régulièrement des tonalités plaisantes, avec parfois des petites pointes d'humour :
« [Saemundur] avait déjà cinq cents ans à l'époque : c'est beaucoup, mais ça reste possible. Sept cents ans, en revanche, cela paraît vraiment trop vieux... »



Tout conte qu'il est, ce récit donne une impression de réalité. Et le fait qu'on y rencontre des Elfes, des Trolls et des Fantômes n'est pas une contradiction, dès lors que l'on comprend que pour l'Islandais commun, ces créatures du « monde invisible » ne se sont pas que du folklore.

L'impression de réalité vient aussi d'une atmosphère bien particulière qu'a su capturer et retranscrire l'auteur. Widjigo, d'Estelle Faye, m'avait fait à peu près le même effet. Dans cet excellent roman, la romancière décrit une série d'évènements dans une région également inhospitalière. Je remarque aussi que les deux auteurs se sont rendus sur les lieux concernés pour faire le repérage. Il n'y a pas à dire : quand on s'investit, ça paie !


Enfin, il y a de nombreux hommages au conte dans le récit lui-même !
Ainsi, le narrateur s'autorise quelques courtes digressions qui donnent l'impression d'un conte dans le conte.
Les personnages eux-mêmes se livrent en de multiples occasions au récit de leur propre vie. Dit comme cela, cela peut paraître ennuyeux et inutile, mais en fait non. On ressent très bien que face à l'extrême rigueur du climat, face à la rareté des rencontres et en l'absence d'autre chose à échanger, le récit de sa vie a toujours une petite valeur, si fade paraisse-t-elle.


Les petits défauts que j'ai perçus, pour pinailler :
- Sur l'ensemble, un aspect un peu décousu, comme si tout pouvait arriver au chapitre suivant. Mais c'est un problème courant dans les contes.
- Je n'ai pas été convaincu par les alternances entre les moments durs et tragiques et les moments plaisants.


En conclusion, une très belle découverte, un folklore très sympa, clairement aux sources de la Fantasy moderne, et un auteur solide à suivre !

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