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Critique de dancingbrave


Histoire d'une transmutation voulue

Voici un bien étrange livre qui n'aura cessé de m'étonner :

Par la façon dont il est venu dans mes mains : Je fus interpelé par les billets de fanfanouche24 et de bobfutur - Mais qui est donc cet ami de bobfutur qui avait une « petite pile » de cet ouvrage sur son étagère ?

Par le fait que son auteur soit volontairement anonyme

Par l'éditeur suisse, Héros-Limite, jamais croisé auparavant.

Par l'aspect de l'ouvrage extrêmement sommaire mais de très belle facture

Par le fait que chaque exemplaire soit numéroté

Par l'introduction de Pierre Gripari qui sauva le texte de la destruction.

Par la façon, enfin, dont il m'a puissamment remué.




On connait tous, je suppose, ce besoin, un jour ou l'autre, de changer radicalement, de s'opposer à ce que l'éducation, le travail, la vie jusque là, ont fait de nous.

Je l'ai connu.

Le jeune narrateur le ressent, inconsciemment sans doute. A la fin de ses études, restées sur un échec, il se voit contraint de travailler en attendant son départ sous les drapeaux.
Il n'a pas de métier mais une instruction certaine.
Nous sommes dans les années 50. Il aurait pu se chercher un travail à la mesure de ce que la vie avait fait de lui jusqu'à présent. Mais il choisi d'entrer dans une scierie. Affronter la dureté physique, l'âpreté des rapports aux autres, embarqués dans le même cycle de fatigue à peine réparée par la nuit courte et retrouvée sans cesse. La fatigue qui ne permet aucune distraction, aucune tentative de sortir de cette roue abrutissante. La fatigue qui, peut-être, aigrit.

Il devient comme ces ouvriers.
Malgré leur refus d'accepter ce petit bourgeois, il leur ressemble de plus en plus, sans les juger, sans les aduler non plus.
Il ne cède pas à l'affrontement des classes que ses collègues seraient tentés de mener. Il s'en fait des compagnons d'infortune.

Il veut voir son corps et son esprit s'endurcir. C'est son choix. Il se transmute.

Sa fierté, sa volonté et sa force naturelle y sont pour beaucoup

Mais cette dureté devient méchanceté au service de la rancune aussi.
La guerre se mène à coups de vacheries, de peurs, de doigts coupés par les scies.

A l'issue de ces deux années, il en arrive à cette conclusion, excipit questionnant :
« Bien sûr, le contact brutal avec des réalités et des difficultés que je ne soupçonnais même pas m'ont durci le caractère, et bien plus que je ne l'aurais voulu. Tant pis : il est top tard ».

Le roman est rude, fort et - j'ose - viril.

Les phrases sont incisives, courtes ponctuées de mots grossiers.
Pas de chemin détourné, pas d'entourloupe, ce qu'il pense il l'écrit sans fard. Il le hurle parfois.

C'est violent par les mots, les descriptions, le travail, la sueur, la peur, le bruit, les odeurs, la crasse.

La scierie perdue dans les bois, les troncs, les scies, les hommes, les rancoeurs. forment quasiment un huis clos. Je suis étonné de prendre autant de plaisir à lire ce livre. Je ne peux le lâcher tant il devient palpitant comme le sang qui jaillit régulièrement des blessures du corps.

Etrange alchimie
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