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EAN : 9782940517022
137 pages
Heros-Limite Editions (13/04/2013)
4.27/5   148 notes
Résumé :
Le lendemain matin, je me lève à cinq heures trente, je pars à six heures quinze vers Huisseau. On est en septembre, le jour se lève à peine. Je vois des quantités de lapins dans le parc de Chambord. J'arrive à la scierie en avance. Tout est sombre sous le hangar. J'ai dans mes sacoches ma gamelle qui contient mon repas de midi. Le chauffeur bourre la chaudière et fait monter la pression. Je m'approche du four et je me chauffe. Il est sept heures moins dix. Tout le ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (32) Voir plus Ajouter une critique
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Un roman anonyme découvert grâce à Bobfutur, le récit étonnant d'une expérience dont le cadre se situe sur les bords de Loire, entre Blois et Chambord au début des années 1950. L'auteur volontairement anonyme qui vient d'un milieu bourgeois, ayant échoué au bac et contraint de travailler jusqu'à son départ au régiment raconte sa propre expérience d'ouvrier de scierie pendant deux ans. Il n'a que dix huit ans, le travail est très dur et dangereux et le milieu des plus hostiles. Pourtant ce garçon qui n'a pas froid aux yeux va prendre le taureau par les cornes, et accomplir un changement physique et moral étonnant à travers un boulot ingrat qu'il exécutera avec brio avec une volonté et une patience quasi surhumaine,
« Ce n'est pas pour rien qu'on appelle la scierie le bagne. Sortir de là c'est une référence. le gars qui a tenu le coup là-dedans le tiendra partout, il porte la couronne des increvables. Mais cette couronne , il faut la gagner, il faut la payer, et elle se paye cher. ».
Intransigeant sur ses propres droits, intransigeant sur sa propre personne le garçon monte la barre des difficultés constamment jusqu'à l'insoutenable, et son dernier défit est presque du masochisme, jusqu'à ce qu'arrive la feuille pour partir au régiment, la délivrance ….
Un texte singulier d'un réalisme cru , un rythme rapide et un style sec qui reflète avec précision la violence d'un vécu insolite. Un texte fascinant sur l'homme et ses limites , dans ce contexte un coriace insensible à la fatigue , un garçon de dix-huit qu'on ne pourrait probablement plus rencontrer aujourd'hui parmi les nouvelles générations.
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Cette Scierie m'a été mise dans les mains par un ami, qui en avait un petit tas sur son étagère, comme on tend la main à l'autre, après avoir trop parlé, quand il n'y a plus rien à dire, et que même boire sans parole devient vaguement douloureux.
« Il faudrait que tu lises ça »

Les quelques mots, une petite introduction, mentions faites à l'éditeur ou au préfacier / découvreur de ce texte anonyme, me paraissent à présent étrangers; une autre histoire, à raconter une autre fois, tant le coeur de ce récit accroche à la chair.

Il faut fournir.

L'envie de réfléchir à la véracité d'une histoire, à la réalité qui dépasse la fiction, aux départs et arrivées en gare des trains régionaux, s'affadit calmement, l'oeil dans le vague, alors que le doigt suit encore ces lignes abrasives pleines d'un hurlement silencieux, absorbant ce récit par une autre voie, bleue-sourde, blafarde, et toujours sous la menace d'un cordon de douleurs invisibles.

C'est une vilaine béquille pour aider à l'espoir.
C'est poissant de vérité tant il s'en dégage une farouche pudeur.
C'est un très beau cadeau de mon ami Pascal.
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Et dire qu'on ne sait pas qui a écrit ce récit ! La légende voudrait que son auteur en ait confié le manuscrit à Pierre Gripari avant de s'en désintéresser. Vingt ans plus tard, ce dernier, ne pouvant se résoudre à ce que La Scierie tombe dans l'oubli, le fait publier dans l'anonymat. de là ce livre est lu par l'ami d'un babélionaute, qui le lui met entre les mains en lui disant qu'il doit le lire. Après quoi, ledit Bobfutur en question s'est empressé de venir nous en faire la publicité, puis la cavalière au grand sourire s'est vue dévalisée par ses babélamis qui l'ont commandé sur ses conseils. Bref, pendant quelques heures j'ai investi la scierie d'un illustre inconnu, et j'ai kiffé. Comme dit Pierre Gripari (qui était aussi un inconnu pour moi) : « Tout cela est propre, viril, et sans détour ».


« J'écris parce que je crois que j'ai quelque chose à dire ». Ainsi débute ce récit, relayé par des éditions qui me sont également inconnues mais portent un nom propice à qui publie un récit anonyme : Héros-limite. le narrateur, jeune-homme de bonne famille, est pour un temps forcé de trouver un travail d'ouvrier dans une scierie, pour démarrer sa vie de famille. Cette expérience, intense et inoubliable, le fera devenir homme sous nos yeux, en seulement 140 pages.


« Tout ça me fait penser à un champs de bataille du douzième siècle. Ça devait faire le même bruit, ça devait être le même activité. Cette ambiance de bagarre est réelle. On a l'impression que l'équipe veut exterminer le bois, le hacher, le bouffer. Ici on ne pose pas, on jette, on lance. le moindre objet qui embarrasse est projeté n'importe où, au loin, à toute volée. Ici on ne se dérange pas pour pisser, on pisse où on est : les griffeurs sur leur chariot, le scieur à sa place, etc. Pas de temps à perdre. Jamais on s'arrête, car il faut fournir. »


Pierre Gripari écrira : « Son livre est bon parce qu'il est bien écrit ; il est bien écrit parce que le ton est juste ; et le ton est juste parce que le narrateur ne triche pas avec qui il est, ne cherche pas à séduire, ne ménage personne, et surtout pas lui-même. » Tout est exact. L'écriture, bien que virtuose, est aussi brute que le bois qui arrive dans les mains écorchées du narrateur. Ça la rend vivante. Des blessures, il y en aura et le lecteur ne sera pas épargné qui devra serrer les dents à la vue du sang, et ressentir dans ses chairs l'aiguille qui recoud ; La sueur mêlée de résine de pin, sur les torses musclés dont les veines semblent prêtes à éclater, fera tenir les bleus de travail debout ; les barbes rêches masqueront les rides précoces de nos bûcherons bourrus, qui iront au bout de leurs forces et de leurs ressources. Et s'ils repoussent leurs limites, c'est qu'il faut bien vivre, et qu'il n'y a pas de travail ailleurs. En plein hiver ici, le pôle d'emploi c'est la scierie : il faut produire, augmenter les cadences, faire le travail de quatre hommes, prouver sa valeur et se rendre indispensable. Jusqu'à l'écoeurement. Bienvenu dans la France des années 1950.


« Le déligneur, c'est Garnier. Spectacle ahurissant. J'ai d'abord l'impression qu'il est ivre, ou fou de rage. le déligneur titulaire de la place s'est fait enterrer par le scieur et ne peut plus fournir. Garnier a pris la place et lui fait voir comment on déligne. Ses gestes sont violents : il arrache la planche du tablier avec un rictus méchant, la place sur le petit chariot mobile, l'ajuste à la lame d'un coup d'oeil, et pousse dans la scie, à toute vitesse, le corps jeté en avant. A chaque trait, ses doigts passent à un centimètre de la lame. Il retire son chariot de toutes ses forces et jette les planches hors du hangar, à cinq mètres de lui. On a l'impression qu'il va bouffer chaque planche sur laquelle il met la main : il en bave, il en écume. Sa cadence est insensée. Inutile de s'approcher de lui, on prendrait un paquet de bois dans la gueule. Et on est en fin de journée ! Qu'est-ce que ça doit être au début ! »


J'ai lu la Scierie comme j'ai lu Germinal : Portée par le souffle de l'explosion du palpitant de cet anonyme et de ses descriptions vibrantes, souffrant avec les personnages, enrageant avec eux, trimant à leurs côtés ; espérant pour eux. C'est beau, c'est fort ; C'est touchant aussi, extrêmement. On aimerait les soutenir, plus que les personnages féminins du livre qui, il faut bien le dire, paraissent si peu à la hauteur. Oui, décidément, ce petit livre encore pas si connu et écrit par un anonyme ne peut se transmettre que de plume de babéliodruide à yeux de babéliodruide, autant dire d'un anonyme pseudo à d'autres pseudo-anonymes. Et c'est très bien comme ça. Une lecture qui fleure bon la sciure, la testostérone et les matins difficiles, mais qui rappelle avec force et courage la valeur du travail et des travailleurs.


« Ils ont tous l'air très méchant, mais, sous cette enveloppe, se cachent des coeurs qui rendent hommage au mérite et au courage. Eux seuls connaissent la valeur de l'effort, parce qu'ils sont habitués à souffrir. Ils ne savent pas tous lire, mais ils sont courageux, costauds, décidés. Ce sont des forts. »
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Histoire d'une transmutation voulue

Voici un bien étrange livre qui n'aura cessé de m'étonner :

Par la façon dont il est venu dans mes mains : Je fus interpelé par les billets de fanfanouche24 et de bobfutur - Mais qui est donc cet ami de bobfutur qui avait une « petite pile » de cet ouvrage sur son étagère ?

Par le fait que son auteur soit volontairement anonyme

Par l'éditeur suisse, Héros-Limite, jamais croisé auparavant.

Par l'aspect de l'ouvrage extrêmement sommaire mais de très belle facture

Par le fait que chaque exemplaire soit numéroté

Par l'introduction de Pierre Gripari qui sauva le texte de la destruction.

Par la façon, enfin, dont il m'a puissamment remué.




On connait tous, je suppose, ce besoin, un jour ou l'autre, de changer radicalement, de s'opposer à ce que l'éducation, le travail, la vie jusque là, ont fait de nous.

Je l'ai connu.

Le jeune narrateur le ressent, inconsciemment sans doute. A la fin de ses études, restées sur un échec, il se voit contraint de travailler en attendant son départ sous les drapeaux.
Il n'a pas de métier mais une instruction certaine.
Nous sommes dans les années 50. Il aurait pu se chercher un travail à la mesure de ce que la vie avait fait de lui jusqu'à présent. Mais il choisi d'entrer dans une scierie. Affronter la dureté physique, l'âpreté des rapports aux autres, embarqués dans le même cycle de fatigue à peine réparée par la nuit courte et retrouvée sans cesse. La fatigue qui ne permet aucune distraction, aucune tentative de sortir de cette roue abrutissante. La fatigue qui, peut-être, aigrit.

Il devient comme ces ouvriers.
Malgré leur refus d'accepter ce petit bourgeois, il leur ressemble de plus en plus, sans les juger, sans les aduler non plus.
Il ne cède pas à l'affrontement des classes que ses collègues seraient tentés de mener. Il s'en fait des compagnons d'infortune.

Il veut voir son corps et son esprit s'endurcir. C'est son choix. Il se transmute.

Sa fierté, sa volonté et sa force naturelle y sont pour beaucoup

Mais cette dureté devient méchanceté au service de la rancune aussi.
La guerre se mène à coups de vacheries, de peurs, de doigts coupés par les scies.

A l'issue de ces deux années, il en arrive à cette conclusion, excipit questionnant :
« Bien sûr, le contact brutal avec des réalités et des difficultés que je ne soupçonnais même pas m'ont durci le caractère, et bien plus que je ne l'aurais voulu. Tant pis : il est top tard ».

Le roman est rude, fort et - j'ose - viril.

Les phrases sont incisives, courtes ponctuées de mots grossiers.
Pas de chemin détourné, pas d'entourloupe, ce qu'il pense il l'écrit sans fard. Il le hurle parfois.

C'est violent par les mots, les descriptions, le travail, la sueur, la peur, le bruit, les odeurs, la crasse.

La scierie perdue dans les bois, les troncs, les scies, les hommes, les rancoeurs. forment quasiment un huis clos. Je suis étonné de prendre autant de plaisir à lire ce livre. Je ne peux le lâcher tant il devient palpitant comme le sang qui jaillit régulièrement des blessures du corps.

Etrange alchimie
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Comme stanlopillo l'a écrit fort justement, il s'agit d'un véritable Ovni littéraire....que j'ai déniché par le plus grand des hasards... en feuilletant à ma médiathèque la liste des acquisitions...de 2013

L'anonymat et le sujet m'ont intriguée...un peu dubitative au début de ma lecture...surtout en venant de relire l'excellent récit du poète-ouvrier, Georges Navel..."Travaux"...et puis on est pris aux tripes... l'écriture est âpre, brute... à l'image de ce monde des scieurs, bûcherons dans les années 1950, où notre anti-héros, jeune bourgeois désargenté, orphelin de mère... ayant échoué à son bac, doit gagner sa vie...en attendant son appel pour le service militaire...
Ce récit couvre les deux années les plus éprouvantes mais aussi les plus denses de notre écrivain anonyme...

" Nogent-le-Rotrou, 4-2-53-
Maintenant, avec un an de recul, je vois ce que m'ont apporté ces deux ans qui m'ont paru si longs. C'est au fond la seule période de ma vie dont je sois fier jusqu'ici, car c'est la seule qui signifie quelque chose.
j'ai commencé, j'étais un gosse. J'en suis sorti, j'étais un homme.
Il m'en reste un immense respect pour le travailleur, quel qu'il soit et quoi qu'il fasse" (.p.141)

Un récit authentique sans fioriture… qui dit la violence d'un certain monde du travail, celui des scieries, des travaux de force en plein air, dans des conditions très éprouvantes, les « vacheries » que se font les ouvriers entre eux, alors que le travail est dangereux, et que les tâches nécessitent une solidarité vitale… - La scie, ce putain d'outil qui m'en fera tant baver pendant dix-huit mois. La lame, jamais fatigué, qui exige le travail de dix hommes pour la nourrir, pour la satisfaire- (…)
Cette vision de la rencontre de la lame et du bois, je ne l'oublierai jamais. Elle est d'un intérêt toujours renouvelé. Cette rencontre s'appelle –l'attaque-. Dans une scierie, tout le monde regarde l'attaque, le profane comme le vieux scieur qui, le front plissé, souffre avec sa scie, comme l'affûteur qui devine, rien qu'au bruit, si la lame coupe ou non.- (…)
Ce n'est pas pour rien qu'on appelle la scierie le bagne. Sortir de là-dedans, c'est une référence. le gars qui a tenu le coup-là-dedans le tiendra partout, il porte la couronne des increvables. Mais cette couronne, il faut la gagner, il faut la payer, et elle se paye cher.(p.78)

Les descriptions du travail des gars à la scierie, par tous les temps, sont tellement « parlantes »et intenses… que nous, lecteurs, entendons les bruits infernaux de la scierie, des lames, des jurons des gars, souffrons avec ces hommes rudes, teigneux… mais aussi parfois tout simplement vulnérables comme des gosses. – Des fois, nous avons des accès de cafard qui se manifestent par des crises de rage ou d'abattement. Il ne reste alors, dans la pauvre cabane perdue dans la tempête et dans les bois, que deux grands gosses qui se serrent près du mauvais poêle- (p.99)

-Il m'entraîne et passe la main sur mes cheveux poissés et emmêlés. J'en pleure de plus belle. Il n'y a rien de tel que les brutes quand ils essaient d'être doux. C'est maladroit, gauche, empressé, en somme très sympathique et très marrant. (…) J'ai envie d‘être dorloté, tout simplement. Il est beau, le dur, le bûcheron ! Tout ce qui l'intéresserait, pour le moment, serait d'avoir une femme, pour se cacher la tête dans ses jupes. (p.107)

J'ai lu ce texte en une soirée, happée par la tension extrême du récit… parallèlement, les images d'un ancien film que j'adore, de Robert Enrico (1965)ne m'ont pas quittée : « Les grandes gueules », avec Bourvil, Lino Ventura…ce monde d'hommes, dans cet univers particulier des marchands de bois, des scieries, des bûcherons, ...une violence entre les hommes liée à la dureté du travail…On retrouve à des niveaux différents, une âpreté terrible, approchante…

Revenons à ce récit unique en son genre…qui a été édité initialement aux éditions de l'Age d'Homme, en 1975… et ceci grâce à l'enthousiasme et à l'intervention de l'écrivain, Pierre Gripari , dont les éditions Héros-Limite ont eu l'idée excellente de republier la préface de 1975 où Gripari explique la genèse de cette publication insolite.

Je laisse la parole à Pierre Gripari, tellement l'histoire de ce livre est incroyable et fort sympathique : - Ce récit n'est pas de moi (…) Il n'est pas de moi, mais je l'admire profondément. Bien plus : j'en suis jaloux, ce qui est bien la plus belle preuve d'admiration que puisse donner un écrivain. C'est pourquoi j'ai voulu et je veux qu'il soit publié, qu'il se lise, et tant pis pour ce qu'en dira l'auteur !
Car l'auteur, lui, non seulement ne veut plus écrire (alors que tant d'autres noircissent du papier, qui feraient mieux de s'abstenir !), non seulement se désintéresse de son oeuvre (car c'est bien là une oeuvre, dans le sens noble du mot), mais il ignore, en ce moment même, que je m'apprête à le faire publier. Si je l'avais écouté, je lui aurais rendu son manuscrit, qu'il aurait détruit, sans nul doute, depuis longtemps. Force m'est donc de le laisser dans l'anonymat le plus strict.
Un détail cependant : ce texte m'a été communiqué il y a plus de vingt-ans. A cette époque, je travaillais encore sur mon premier livre, celui qui devait s'appeler- Pierrot la lune-. Je le réécrivais pour la troisième ou quatrième fois, sans avoir trouvé le ton juste. C'est à la lecture de ces pages, écrites cependant par un garçon plus jeune que moi et qui ne songe même pas à devenir écrivain, c'est à la lecture de ces pages, dis-je, que j'ai trouvé mon propre style. – ( Présentation de Pierre Gripari, avril 1975 /p.7)

N.B : Je joins un lien pour découvrir ces éditions étonnantes Héros-Limite, dont je faisais la connaissance pour la première fois, avec cette réédition , qui ont pourtant été créées il y… 20 ans déjà…(1994), dont le catalogue est très riche et éclectique.
http://www.heros-limite.com/presentation

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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Le déligneur, c’est Garnier. Spectacle ahurissant. J’ai d’abord l’impression qu’il est ivre, ou fou de rage. Le déligneur titulaire de la place s’est fait enterrer par le scieur et ne peut plus fournir. Garnier a pris la place et lui fait voir comment on déligne. Ses gestes sont violents : il arrache la planche du tablier avec un rictus méchant, la place sur le petit chariot mobile, l’ajuste à la lame d’un coup d’oeil, et pousse dans la scie, à toute vitesse, le corps jeté en avant. A chaque trait, ses doigts passent à un centimètre de la lame. Il retire son chariot de toutes ses forces et jette les planches hors du hangar, à cinq mètres de lui. On a l’impression qu’il va bouffer chaque planche sur laquelle il met la main : il en bave, il en écume. Sa cadence est insensée. Inutile de s’approcher de lui, on prendrait un paquet de bois dans la gueule. Et on est en fin de journée ! Qu’est-ce que ça doit être au début !
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Je monte me coucher. Mais il y a un os.
L’os, c’est quand on est trop fatigué pour pouvoir dormir. On sommeille. Mes assoupissements sont coupés de cris. Je me dresse, je lance à travers la pièce mes couvertures, mon polochon, tout ce que j’ai sous la main. Je rêve que je suis à la scierie. Pendant les quinze premiers jours, ça sera comme ça, je ne quitterai la scierie ni jour ni nuit. C’est une obsession, une maladie. Le lendemain, je ne suis pas reposé, mais abruti, endolori. Je m’habille comme un somnambule, je mange, je pars dans la brume du matin. 
L’odeur de la scierie me lève le coeur. J’ai autant d’enthousiasme qu’un condamné aux travaux forcés. C’est pas possible de s’astreindre à un tel effort de sa propre autorité. Fou, il faut être, raide fou !
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Maintenant je vois de quelle espèce de planche manque Bibi, et je n’en scie pas. Quand il m’en demande, je lui réponds avec un mince sourire :
J’ai pas le temps, attends un petit quart d’heure.
Et Bibi se fait des journées dégueulasses à cause de moi. Je lui rends la monnaie de sa pièce du début. Les rôles sont inversés. J’en profite. J’en abuse, comme un salaud. Il vient de s’acheter une petite maison : il est endetté. Je sais qu’il a besoin de gagner sa vie plus que jamais. Mais à tout instant, son ardeur bute sur un obstacle auquel il ne peut rien, sur une peau de vache qui n’est pas mince, et qui est moi.
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Je ne sais pas si vous avez déjà vu un homme, un vrai, pleurer. Je vous jure que ça fait un drôle d’effet. J’en ai la gorge serrée (…). J’ai la gorge qui me fait mal, et tout à coup, notre misère m’écrase : le bois, le temps, la fatigue, la peur d’échouer, tout est là, je ne suis pas loin de caler moi aussi. Je sors avec Robert, en silence, découragé, écoeuré. Nous nous couchons sans un mot et je vous jure que je donnerais dix ans de ma vie pour être à cent kilomètres de la petite cabane, dans la coupe de sapin. 
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Voilà l’ambiance de la scierie. Des hommes rudes, de vrais hommes. Quand un de ces hommes dit : « Je tiens », il tient, on peut y aller, ce ne sont pas des types à chier dans leur froc à la dernière minute. Ils ont tous l’ai très méchant, mais sous cette enveloppe, se cachent des cœurs qui rendent hommage au mérite et au courage. Eux seuls connaissent la valeur de l’effort, parce qu’ils sont habitués à souffrir. Ils ne savent pas tous lire, mais ils sont courageux, costauds, décidés. Ce sont des forts.
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