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Critique de Malaura


Derrière chaque poète il y a souvent une femme.
Derrière chaque poème s'y dévoilent souvent les femmes, les muses, qui les ont inspirés.
C'est en septembre 1914, alors qu'il séjourne à Nice, que Guillaume Apollinaire rencontre Louise Coligny-Châtillon, surnommée Lou. Elle est décrite comme une jeune femme « spirituelle, dégagée, frivole, impétueuse, puérile, sensible, insaisissable, énervée, un peu éperdue en quelque sorte ». D'emblée sa personnalité fantasque fascine le poète. Elle l'aiguillonne, l'exalte, l'enflamme et lui inspirera nombreux de ses plus beaux poèmes.

Poèmes rimés ou en prose, lettres en vers, comptines, fabliaux, acrostiches, calligrammes, Lou s'anime, vibre, palpite comme une flamme vive, s'inscrit en toute lettres dans ce recueil qui lui est dédié, les « Poèmes à Lou ».
Apollinaire la chante tout entière et loue son corps tant désiré au détour de rimes qui ne laissent pas d'étonner par la hardiesse, l'audace, l'érotisme et même la crudité de leur évocation, à une époque que l'on s'imagine encore bien chaste et pudibonde en matière de relations charnelles.
Nombreux sont pourtant les poèmes qui vont clamer cet appétit physique et cette avidité sensuelle qui galvanisent l'homme et l'artiste.
Lou est l'incarnation de la Femme. Idéalisée, déifiée, réifiée aussi parfois, elle est celle qui s'offre mais ne se livre pas, celle qui aime sans se donner, fille, petite soeur, amante, déesse, Lou insaisissable, évanescente, fugitive, inconstante, lascive, maîtresse ardemment fantasmée…

Mais son coeur convoité se refuse, son âme si rêveusement espéré reste inaccessible, Apollinaire, alors engagé volontaire et affecté dans un régiment d'artillerie, se languit et s'exaspère de lettres qu'il attend avec impatience et qui viennent peu, ou pas.
Ses rimes se font alors désabusées, désespérées, pleines de regrets et de douleur, qui plus est en pleine période de guerre.
La Première Guerre et ses atrocités s'amalgament à cet amour perdu.
Les vers pleurent, s'insurgent, se lamentent, disent leur incompréhension, se résignent enfin.
En une sorte de sublimation de l'amour et de la mort, le poète enchevêtre son vécu au front, la vie des soldats de caserne, les horreurs des champs de bataille, les éclairs des obus, avec cet amour qu'il aspire à voir renaître mais qu'il sait pourtant désormais révolu.
C'est l'acrostiche formant le nom de Lou comme une dernière supplication désillusionnée et qui clôt le superbe poème « Si je mourrai là-bas » :
« La nuit descend
On y pressent
Un long un long destin de sang »

Précédé de nombreux poèmes et ébauches regroupés sous le titre « Il y a », le recueil des « Poèmes à Lou » dévoile toute la fantaisie et la liberté qu'Apollinaire a apporté à la poésie.
En prose ou en rimes, sous formes de lettres ou par ses fameux calligrammes, les mots et les vers d'Apollinaire se font tantôt aériens, oniriques, hallucinés, plein d'un imaginaire débridé, tantôt plus terre à terre, crus, croustillants et grivois.
Par ses divagations, ses chimères, ses inventions stylistiques et métaphoriques, celui qui fut l'un des premiers précurseurs du mouvement surréaliste a adopté une excentricité dans la création que l'on ne cautionnera ou comprendra pas toujours, et bien sûr certains poèmes nous parlent plus que d'autres. Toujours est-il qu'il a su insuffler à l'art de la poésie une indépendance, une autonomie qui, en le libérant des contraintes et règles imposées d'ordinaire à cet art, en lui faisant emprunter d'autres chemins, en le guidant sous d'autres latitudes, aura permis d'influencer nombre des grands poètes du XXème siècle qui lui ont succédé.
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