Ta bouche me disait
Des mots de damnation si pervers et si tendres
Que je me demande ô mon âme blessée
Comment j’ai pu alors sans mourir les entendre
O mots si doux si forts que quand j’y pense il me semble
Que je les touche
Et que s’ouvre encore la porte de ta bouche
Je donne à mon espoir tout l’avenir qui tremble comme une petite lueur au loin dans la forêt…
Je pense à toi
Je pense à toi mon Lou ton cœur est ma caserne
Mes sens sont tes chevaux ton souvenir est ma luzerne
Le ciel est plein ce soir de sabres d’éperons
Les canonniers s’en vont dans l’ombre lourds et prompts
Mais près de toi je vois sans cesse ton image
Ta bouche est la blessure ardente du courage
Nos fanfares éclatent dans la nuit comme ta voix
Quand je suis à cheval tu trottes près de moi
Nos 75 sont gracieux comme ton corps
Et tes cheveux sont fauves comme le feu d’un obus
qui éclate au nord
Je t’aime tes mains et mes souvenirs
Font sonner à toute heure une heureuse fanfare
Des soleils tour à tour se prennent à hennir
Nous sommes les bat-flanc sur qui ruent les étoiles
J’écris tout seul…
Mon cœur j’ai regardé longtemps ce soir
Devant l’écluse
L’étoile ô Lou qui fait mon désespoir
Mais qui m’amuse
Ô ma tristesse et mon ardeur Lou mon amour
Les jours s’écoulent
Les nuits s’en vont comme s’en va le jour
Les nuits déroulent
Le chapelet sacrilège des obus boches
C’est le printemps
Et les oiseaux partout donnent leurs bamboches
On est content
On est content au bord de la rivière
Dans la forêt
On est content La mort règne sur terre
Mais l’on est prêt
On est prêt à mourir pour que tu vives
Dans le bonheur
Les obus ont brûlé les fleurs lascives
Et cette fleur
Qui poussait dans mon cœur et que l’on nomme
Le souvenir
Il reste bien de la fleur son fantôme
C’est le désir
Il ne vient que la nuit quand je sommeille
Vienne le jour
Et la forêt d’or s’ensoleille
Comme l’Amour
Les nuages s’en vont courir les mondes
Quand irons-nous
Courir aussi tous deux les grèves blondes
Puis à genoux
Prier devant la vaste mer qui tremble
Quand l’oranger
Mûrit le fruit doré qui te ressemble
Et sans bouger
Écouter dans la nuit l’onde cruelle
Chanter la mort
Des matelots noyés en ribambelle
Ô Lou tout dort
J’écris tout seul à la lueur tremblante
D’un feu de bois
De temps en temps un obus se lamente
Et quelquefois
C’est le galop d’un cavalier qui passe
Sur le chemin
Parfois le cri sinistre de l’agace
Monte Ma main
Dans la nuit trace avec peine ces lignes
Adieu mon cœur
Je trace aussi mystiquement les signes
Du Grand Bonheur
Ô mon amour mystique ô Lou la vie
Nous donnera
La délectation inassouvie
On connaîtra
Un amour qui sera l’amour unique
Adieu mon cœur
Je vois briller cette étoile mystique
Dont la couleur
Est de tes yeux la couleur ambigüe
J’ai ton regard
Et j’en ressens une blessure aigüe
Adieu c’est tard
Les attentives
....
Mais Madame écoutez-moi donc
Vous perdez quelque chose
- C'est mon cœur pas grand-chose
Ramassez-le donc
Je l'ai donné je l'ai repris
Il fut là-bas dans les tranchées
Il est ici j'en ris j'en ris
Des belles amours que la mort a fauchées
...
ISPAHAN
Pour tes roses
J'aurais fait
Un voyage plus long encore
Ton soleil n'est pas celui
Qui luit
Partout ailleurs
Et tes musiques qui s'accordent avec l'aube
Sont désormais pour moi
La mesure de l'art
D'après leur souvenir
Je jugerai
Mes vers les arts
Plastiques et toi-même
Visage adoré
Ispahan aux musiques du matin
Réveille l'odeur des roses de ses jardins
J'ai parfumé mon âme
A la rose
Pour ma vie entière
Ispahan grise et aux faïences bleues
Comme si l'on t'avait
Faite avec
Des morceaux de ciel et de terre
En laissant au milieu
Un grand trou de lumière
Cette
Place carrée Meïdan
Schah trop
Grande pour le trop petit nombre
De petits ânes trottinant
Et qui savent si joliment
Braire en regardant
La barbe rougie au henné
Du Soleil qui ressemble
A ces jeunes marchands barbus
Abrités sous leur ombrelle blanche
Je suis ici le frère des peupliers
Reconnaissez beaux peupliers aux fils d'Europe
O mes frères tremblants qui priez en Asie
Un passant arqué comme une corne d'antilope
Phonographe
Patarafes
La petite échoppe
Troisième Fable
Le ptit Lou s'ébattait dans un joli parterre
Où poussait la fleur rare et d'autres fleurs itou
Et Lou cueillait les fleurs qui se laissaient bien faire
Mais distraite pourtant elle en semait partout
Et perdait ce qu'elle aime
Morale
On est bête quand on sème
Un rossignol en mal d’amour
Chante et rechante tour à tour
Sur le mode
Majeur
Puis sur le mode mineur
Et je voudrais qu’il prît le ton de l’ode
Afin de te chanter à ce déclin de jour
Ma très chère ptit Lou toi ma très chère amour
Et les fleurs vont mourir dans la chambre profane.
Nos roses tour à tour effeuillent leur douleur.
Belle, sanglote un peu…Chaque fleur qui se fane,
C’est un amour qui meurt !
Mon Lou la nuit descend tu es à moi je t’aime
Les cyprès ont noirci le ciel a fait de même
Les trompettes chantaient ta beauté mon bonheur
De t’aimer pour toujours ton cœur près de mon cœur
Je pense à tes cheveux qui sont mon or ma gloire
Ils sont toute ma lumière dans la nuit noire
Et tes yeux sont la fenêtre d’où je veux regarder
La vie et ses bonheurs la mort qui vient aider
Les soldats las les femmes tristes et les enfants malades
Aime-moi mon Lou je t’adore Bonsoir
Je t’adore je t’aime adieu mon Lou ma gloire