Viola Ardonne structure son roman de la même manière que son précédent livre. Elle s'inspire d'un fait historique ou réel caractéristique de l'histoire de l'Italie, en l'occurrence la loi du "mariage de réparation". Elle nous parle à hauteur d'enfant avec parfois des répétitions abusives d'expressions naïves (mon ventre s'alanguissait) et elle y évoque la fin de l'enfance de Oliva qui à bientôt 16 ans doit être mariée. Enfin le roman se compose de 4 parties différentes - la dernière partie se situant de nombreuses décennies après "l'événement " tragique et forme ainsi une certaine analyse de la situation sous un regard plus distancié. Elle prend la forme d'un dialogue silencieux entre la fille et le père.
Page 136, le personnage de Magdalena, figure communiste engagée dans différentes luttes, est un petit clin d'oeil direct au livre "
le train des enfants".
Je découvre que ce livre s'inspire de l'histoire de Franca Viola, la figure emblématique du féminisme en Italie, qui, grâce à son refus du mariage forcé et au procès intenté contre son violeur, a été à l'origine d'une loi en 1981 abrogeant cette loi inique du mariage réparateur. Abrogation tardive, mais à la même époque en France on luttait pour que viol soit reconnu comme un crime et non un délit jugé en correctionnelle. (Dans les faits aujourd'hui les moyens budgétaires insuffisants de la justice conduisent souvent à une correctionalisation du viol, ce qui amoindrit la portée de la condamnation).
L'histoire que nous conte Viola Ardonne met en scène des personnages intéressants, vivant dans un village reculé de Sicile où les mentalités sont encore très archaïques dans les années 1960. le contexte d'un village, milieu clos, est évidemment propice au maintien des traditions, même les plus iniques.
La mère est soucieuse de toujours répondre aux règles de la bienséance. Règles innombrables qui asservissent toujours plus les filles. Elle agit ainsi pour se fondre dans le moule et être acceptée puisqu'elle-même vient d'une autre bourgade qu'elle a fuit. Elle agit pour le bien de ses filles, même si cela aboutit au mariage désastreux de sa fille aînée Fortunata avec quelqu'un qui la maltraite. Dans l'éducation différenciée quelle donne à ses enfants (2 filles et un garçon) elle transmet le poids des interdits adressés aux filles, lesquelles ne sont "rien au singulier". Les filles sont sous la tutelle d'un père, la surveillance d'un frère ou la coupe d'un mari dont elles seront la bonne à tout faire. Une fille seule n'existe pas ou alors est une dévergondée. C'est ainsi que l'institutrice est vue par les femmes du village. D'ailleurs pourquoi instruire les filles puisqu'elle sont inscrites dans la répétition de ce rôle attendu de femme au foyer et mère de famille et cela dès 16 ans. C'est vrai que les femmes ont toujours eu un rôle important dans la transmission des archaïsmes et qu'en élevant différemment les garçons et les filles elles contribuent à maintenir le poids du patriarcat. Cette femme reproche souvent à son mari de ne pas etre suffisamment vindicatif et donc de ne pas répondre à l'image autoritaire attendue d'un homme. Ce n'est que tardivement qu'elle ouvre les yeux et enfin s'oppose aux langues vipérines.
Le père est un taiseux, mais pour autant pas indifférent. Il aura du mal, lui aussi à se défaire du poids des traditions. D'autant plus que la situation sociale de sa famille ne lui permet pas de s'affirmer. Il est intéressant que le personnage du père ne soit pas un archétype de virilité. Par le passé il a su mettre fin à une dette d'honneur qui en Sicile se dénoue à coup de "lupara " et décime des familles entières. Il est pourtant pris dans une nasse, mais voit bien que le bonheur de ses filles n'est pas dans la vie qu'on leur impose. Et c'est ça qui compte, il saura donc, comme tout bon jardinier, apporter le soutien nécessaire.
Oliva est une gamine qui aime la liberté et rêve un peu. Mais elle est éloignée des préoccupations de ses camarades qu'on prépare très jeunes à un mariage arrangé. le mariage est l'union de deux familles, alors on peut marier une fille à quelqu'un qu'elle n'aura jamais vu ! Oliva, est courtisée de façon arrogante par le fils du pâtissier. Et malgré l'absence de réponse à ses avances, il s'arroge tous les droits sur Oliva jusqu'à commettre un enlèvement et un viol. Pour lui, il lui offre une situation et ne conçoit pas qu'on puisse lui dire non. C'est un homme arrogant, sûr de son fait et qui n'aspire qu'à dominer. Alors une femme qui résiste c'est inconcevable.
Le frère jumeau, Lilialia l'amie qui aspire a faire de la politique pour changer l'ordre établi qui asservit les femmes, Saro l'ami d'enfance, amoureux bienveillant.... Tous ces proches apportent leur soutien à Oliva dans sa lutte contre l'hypocrisie. Ce roseau qui plie dans la tempête mais résiste, c'est une Oliva qui peut afficher son honneur : celui d'une femme libre de ses choix.