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Critique de HordeDuContrevent


« Les gens qui prennent le train seuls se composent en général une mine indifférente. Leur regard, qui va des publicités placées en hauteur au paysage à l'extérieur, erre en évitant sans cesse de croiser celui d'autrui. Ou alors ils passent leur temps à lire quelque chose, à écouter de la musique ou à fixer l'écran de leur téléphone. Une personne seule qui n'agira pas ainsi et exprimera une émotion attirera l'attention. »

Le ton est donné dans l'incipit de ce roman choral dans lequel chaque chapitre est consacré à un arrêt de la ligne Imazu. Un chapitre, une gare, un personnage dont le lecteur partage les pensées, la vie, les failles intimes, et observe avec lui les personnes croisées dans ce même train. du moins celles qui attirent justement l'attention. Nous comprenons que nous sommes tous les observateurs et les observés à notre insu, observations en cascade. Nous sommes tous porteurs d'émotions, de comportements pouvant avoir une influence sur les autres, comme autant de réponses à leurs questions. Et cela devient passionnant quand chaque protagoniste qui regarde et qui est regardé prend la parole à tour de rôle.

Ce roman de l'auteure des «Mémoires d'un chat» suit ainsi le trajet de la ligne Imazu de la compagnie de chemin de fer privée Hankyû. Il est organisé en deux parties de huit chapitres chacune (comme les huit arrêts du train), il se déroule au printemps dans le sens Takarazuka-Nishinomiya, et en automne pour le retour. À chaque arrêt, de nouveaux passagers montent, se parlent, s'observent. Et, d'un trajet à l'autre comme d'une saison à l'autre, le lecteur se fait l'observateur des paysages changeants, des multiples trajectoires de la vie et surtout de l'évolution de chacun des personnages montés à bord.

Certains des personnages ont le courage de prendre des décisions grâce à ces rencontres fortuites, suite à ces observations discrètes ; quand d'autres acquièrent des valeurs ayant été confrontés, dans ce même train pris quotidiennement, à certaines situations ( « Bientôt, elles purent toutes les deux faire comme si elles avaient toujours su que poser un cartable sur un autre siège était un geste indigne, et contraire au sens commun. Elles ne se dirent jamais qu'elles l'avaient découvert grâce aux reproches de ce petit homme chauve. Même si elles le savaient toutes les deux. ») ; lorsque d'autres enfin osent s'aborder, se parler. Tous les personnages sont impactés par ces observations, ces rencontres, par quelques mots murmurés parfois.

J'ai aimé le côté roman choral, le fait de donner la parole à celui qui est observé, parfois jugé. J'ai apprécié pouvoir me concentrer sur une personne dans un chapitre puis juste la croiser dans un autre chapitre, cette fois en tant que personnage observé. C'est un procédé narratif intéressant et réjouissant. Retrouver ces mêmes personnages quelques mois plus tard permet de s'attacher davantage à eux. Et finalement le train, cargaison d'histoires mettant en valeur l'étendue de l'âme humaine, de rencontres, de confrontations, est le personnage central de ce roman.

Mon seul bémol est le style, très, trop, épuré pour moi. J'ai déjà eu ce sentiment avec d'autres livres de la littérature japonaise. Si ce style a souvent un côté apaisant voire onirique (je pense bien sûr au grand Haruki Murakami ou encore à Kaho Nashiki dernièrement avec son beau livre « l'été de la sorcière ») cette écriture dépourvue de toutes fioritures peut ôter une certaine saveur à la lecture. Ce n'est pas le cas totalement ici, mais je l'ai un peu éprouvé jusqu'au bon tiers du livre. Une certaine fadeur heureusement compensée par la trame narrative que je trouve brillante. Ensuite, si les histoires sont émouvantes et les personnages touchants, elles peuvent sembler pétries à l'excès de bons sentiments. Je l'ai, là encore, de moins en moins éprouvé au fil de ma lecture mais je l'ai cependant ressenti.

Finalement, au fur et à mesure de l'avancée du train, cette histoire infusait, déployait tous ses sucs, ses essences en moi. Contre toute attente, son épure, ses bons sentiments un tantinet naïfs, m'ont charmée. Je vois à présent chaque histoire comme une fable. Des fables enchainées et interdépendantes, oui ce frais et tendre roman choral m'a fait du bien. « Tout à coup, elle se sentait gaie. Qui sait, une graine de bonheur venait peut-être de rouler vers elle. »…

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