Il faut d'abord dire qu'il s'agit là d'un magnifique travail d'édition et de recherche : tout, de la couverture aux enluminures choisies pour illustrer le livre, en passant par la mise en page, la préface et les annexes (notes sur les images, sur la traduction, glossaire et personnages) contribue à nous faire rentrer un maximum dans l'histoire ainsi que dans ses coulisses. le travail de vulgarisation est très bien fait pour toute personne n'étant pas familière de l'univers arthurien ou de la littérature médiévale.
Tous les textes retrouvés par
Emanuele Arioli ne sont pas présents dans ce livre car un « écumage » a été opéré pour garder une trame cohérente, resserrée autour du personnage principal Ségurant. Cette présentation permet une grande continuité entre les textes, et ce malgré quelques passages manquants car perdus ou brûlés.
Les textes sont divisés en trois grandes parties : la première correspond à la version dite cardinale de la légende de Ségurant, qui est l'ensemble de textes le plus ancien (et homogène ?) s'y rapportant.
Suivent une seconde partie intitulée « continuations » qui consistent en quelques versions complémentaires datant de la même époque (XIIIe siècle), et une troisième partie intitulée « réécritures » qui nous propose des récits alternatifs et globalement plus tardifs (jusqu'au XVe siècle).
Ma principale déception vient du fait que j'ai pour ma part trouvé beaucoup plus d'intérêt à ces fameuses « continuations » et « réécritures » qu'à la version cardinale qui représente la plus grande partie du récit. C'est probablement juste une question de goût, et probablement aussi que l'écriture qui a évolué sur les versions plus tardives y est pour quelque chose ?
De la version cardinale, c'est le texte intitulé « le naufrage sur l'Île Non Sachante » qui narre l'arrivée des ancêtres de Ségurant sur l'île dont il est originaire, qui m'a le plus marquée.
Emanuele Arioli le dit lui-même dans la préface, ce petit air de Robinson Crusoé à la sauce médiévale est assez surprenant.
De la partie « réécritures » j'ai beaucoup apprécié le combat de Ségurant avec le dragon, qui n'est plus chimérique comme dans la version cardinale, mais bien réel, ainsi que les quelques lignes sur un Ségurant amoureux. Parce qu'il est important de dire que le grand absent de la légende de Ségurant c'est bien l'amour … point de roman courtois pour ce monsieur. Ayant lu plusieurs extraits de Lancelot ou le chevalier de la charrette de Chrétien de Troyes, dans lesquels j'avais notamment apprécié les interactions entre Lancelot et Guenièvre, j'étais bien contente de retrouver une pointe de romantisme au milieu des combats !
Tout ce qui a trait à la magie ou l'extraordinaire de manière générale est très intéressant. Il y a une opposition magie / chrétienté dans le récit avec d'un côté des personnages exerçant la magie comme Morgane ou Sibylle l'enchanteresse qui sont clairement malfaisants, et de l'autre les chevaliers qui se dressent en défenseurs des valeurs morales, notamment en venant en aide à ceux qui sont en détresse. Et puis il y a le caractère surhumain de Ségurant qui est forcément le plus beau, le plus grand, le plus fort … et surtout celui qui mange le plus ! Cependant il n'est pas le seul à avoir ce traitement de faveur, parce qu'à presque chaque nouvelle demoiselle introduite dans l'histoire on nous apprend que celle-ci est la plus belle du Royaume. Il y a donc un sacré niveau !
Pour ce qui relève du moins marrant, je trouve qu'il faut du temps avant de s'habituer à cette forme de récit. L'aventure passe en premier, la personnalité des personnages reste donc très superficielle et passe souvent au second plan. Pour cette raison, il est très difficile de s'attacher au personnage principal. C'est un peu à qui tapera le premier, il y a beaucoup d'histoires de vengeance/rétribution pour laver l'honneur et de combats pour se mesurer entre chevaliers, mais sans réelle profondeur psychologique derrière, ce qui peut désarçonner un lecteur contemporain.
De plus le récit est fait de formules répétitives qui sont probablement dues à son caractère oral. La tournure peut être déstabilisante en premier lieu car inhabituelle si on est nouveau lecteur de ce genre. Parfois elle fait sourire, puis au bout d'un moment ça peut légèrement courir sur le haricot. En guise d'exemple, toute personne s'en prenant à Ségurant se fait systématiquement refroidir ou doit être ramassé à la petite cuillère. le narrateur s'assure que le message soit bien passé à coups de « et le précipite à terre dans un tel état qu'un médecin lui serait inutile » allégrement répétés.
Et enfin, un épisode en particulier concernant le chevalier Dinadan m'est légèrement resté en travers de la gorge. le personnage était pourtant prometteur puisqu'il apportait un peu de légèreté au tout, mais au final certains comportements des personnages pourtant érigés en modèle finissent par faire penser que la morale de l'époque est toute relative et parfois difficile à digérer … en tout cas pour un lecteur contemporain ! Ma lecture a été faite avec le moins de partialité possible mais forcément ancrée dans l'époque présente : cet avis est donc malheureusement un poil subjectif (mais quel avis ne l'est pas ?).
Je ne regrette pas en tout cas d'avoir découvert cet univers et ces personnages, et je pense bien tenter d'autres livres de la légende arthurienne à l'occasion.
Je remercie infiniment Babelio et les éditions Les
Belles Lettres (que j'ai pu découvrir par la même occasion) pour l'envoi de ce livre, et pardonnez-moi pour cette critique bien longue que je n'ai pas su alléger ...