Gümri (Գյումրի alias Gyumri) est une ville d'Arménie, située près de la frontière avec la Turquie et où cohabitent au XIXe siècle, sous le contrôle du tsar russe, Arméniens, Grecs et Turcs. C'est dans ce cadre que nous entrons dans un roman oriental.
le maître fontainier, Mkrtitch, s'est promis au début de sa vie professionnelle de construire quarante fontaines. le roman commence alors que l'artisan vient d'achever sa quarantième ; ayant accompli son voeu et en étant en quelque sorte prisonnier, il meurt.
le conte, car c'est plus un conte qu'un roman, retrace l'histoire d'Héghnar, la superbe belle femme du maître. Cette dernière s'est éprise ardemment du fils d'un ami de son époux ; tous deux sont Arméniens. Pour le rencontrer, elle se déguise en femme turque, et se déplace voilée d'un quartier à l'autre. Un jour, elle veut boire à une fontaine, mais au moment où elle se penche, l'eau cesse soudain de couler car en amont c'est l'heure d'arroser le jardin. Au cri de surprise que pousse Héghnar dans la rue, le propriétaire de la maison dans le mur de laquelle la fontaine est insérée, ouvre sa porte et entraperçoit la femme, splendide et voilée. Il s'en éprend sur le champ, et, pour que la mystérieuse créature puisse s'abreuver plus tard, commande immédiatement au maître de modifier la fontaine afin qu'elle soit alimentée en permanence. Peu de temps après, le commanditaire réalise que la femme qu'il désire est Héghnar, l'épouse du maître dont il est devenu l'ami. Atterré, il se suicide.
Plus tard, la femme adultère est démasquée par la communauté turque et meurt foudroyée sous le coup de l'émotion alors que les Turcs, dont l'honneur avait été sali par l'Arménienne, s'apprêtaient à la lyncher.
le jeune amant, inconsolable, part à pied à Jérusalem pour expier sa faute.
Quand à
la fontaine d'Héghnar, je ne vous dis pas ce que le maître a fait d'elle.
Ce texte est envoûtant, plein de poésie, intemporel et marqué par la magie du verbe. Il y est question de la justice des hommes et de celle de Dieu face à l'adultère, mais aussi des relations entre communautés arménienne et turque cohabitant dans une même ville. On s'y interroge surtout sur l'amour, les interdits et la mort.
PS- Lorsque les éditions
Actes Sud publièrent ce roman, elles le tenaient à l'égal de "Senso" de Camilio Boito ou de "
L'accompagnatrice" de
Nina Berberova pour l'une de leurs plus intéressantes découvertes. La relecture que je viens d'en faire, grâce au confinement, confirme.