Alors si Jordan est le visage du mal, je suis prêt à embrasser le diable à pleine bouche. Je le mordrai et y mettrai la langue, j'avalerai sa salive et m'empoisonnerai avec ses baisers ardents.
Nous sommes bons, mauvais, doux, féroces, et une infinité d’autres choses encore. Nous sommes un champ de bataille où le bien et le mal se disputent une guerre interminable, ignorant que ce bain de sang n’aboutira à aucune victoire. Et on aura beau essayer de faire ce qu’il faut, s’agenouiller devant la morale, quoi qu’on fasse, on restera ces mêmes êtres imparfaits qui s’imaginent avoir le choix.
Un jour, tu m’as dit que j’étais comme un croquis inachevé. Je pense que t’as raison. Je pense que certains d’entre nous sont des tests, des ratés, tandis que d’autres sont aboutis et parviennent à aller jusqu’au bout des choses. Il faut juste l’accepter, et une fois que c’est fait, tout devient plus clair.
J’aimerais pouvoir attraper les souvenirs qui me reviennent en pleine poire. Les serrer fort dans mes poings et les pulvériser contre un mur. Les jeter comme des bouteilles de verre. Les voir se briser en mille morceaux dans un bruit fracassant.
- La prochaine fois que tu prends un bain, je jouerai les maîtres-nageurs ! lance-t-il alors que je retourne dans la maison.
Je me tourne vers lui.
- Tu vas me surveiller depuis une chaise haute, avec ton paquet moulé dans un slip de bain ?
- Non, ce bain, je le prendrai avec toi.
Il mène la cigarette à sa bouche. Cette même bouche qui vient d'envahir la mienne.
- En fait, t'as juste besoin d'une excuse, je rétorque, agacé. Le livreur doit vraiment te manquer.
- L'excuse est pour toi, pour t'aider à supporter l'idée.
- C'est ça.
Il lâche un rire depuis la terrasse. Un rire que je sens se prolonger dans les recoins de ma bouche, vibrant contre mes dents et se faufilant dans ma gorge. Là où une part de Jordan vient d'emménager.
Je déteste qu’il me regarde comme ça.
Je déteste qu’il soit si inquiet pour moi.
Je déteste que ça me fasse plaisir.
La peur est l’une des émotions humaines les plus puissantes. Elle ne se contrôle pas. Elle ne se dose pas. Elle domine, étouffe, tyrannise. Mais au-delà des réactions physiques qu’elle engendre, elle permet de vérifier que le système d’alerte fonctionne, que si un danger se présente, on pourra y faire face.
Quand je regarde les gens vivre, je me demande comment ils font. Ça a l’air facile, alors pourquoi ça ne l’est pas pour moi ? C’est comme s’ils allaient trop vite pour que je les imite. Je me sens largué. Abandonné sur le bas-côté comme un clebs qui attend son maître qui ne reviendra jamais.