AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de batlamb


Chez Artaud, l'écriture est un « pis-aller », qui reflète ses difficultés à suivre une pensée continue. Il décrit son sentiment de dépossession. Une pensée atrophiée et par « saccades », en léger décalage avec le présent : « J'assiste à Antonin Artaud ». Malgré sa vocation d'acteur, ses troubles mentaux le relèguent donc au rang de spectateur angoissé de sa propre vie. Il nous en fait le récit dans ses premières tentatives littéraires, qui oscillent entre vers chaotiques et prose au scalpel, dont l'objectif commun est de décrire sa condition. Ces textes inspirent à son correspondant Jacques Rivière une réflexion qui pourrait être l'épigraphe du recueil, et même de certaines oeuvres majeures de l'entre-deux-guerres (je pense à Pessoa et Kafka) : « Où passe, et d'où revient notre être […] ? C'est un problème à peu près insoluble […]. J'admire que notre âge […] ait osé le poser en lui laissant son point d'interrogation, en se bornant à l'angoisse. »

Mais, comme Artaud s'évertue à l'expliquer à Rivière, ce questionnement métaphysique possède chez lui une réalité organique directe : « Il faut avoir été privé de la vie, de l'irradiation nerveuse de l'existence, de la complétude consciente du nerf pour se rendre compte à quel point le Sens et la Science de toute pensée est cachée dans la vitalité nerveuse des moelles. (…) Il y a, par-dessus tout, la complétude du nerf. »

Pour compenser l'incomplétude de sa vie éveillée, Artaud est attiré par le surréalisme naissant. Il y voit un moyen de soustraire « l'émotion de la vie » à la conscience : « cette émotion qui rend à l'esprit le son bouleversant de la matière, toute l'âme y coule et passe dans son feu ardent. » Évocatrice d'un monde en formation, l'éruption volcanique de l'inconscient donne lieu à des récits de rêves ou à des descriptions interprétatives des peintures d'André Masson et de Jean de Bosschère. Artaud voit des spires s'élever vers le soleil, porteuses chacune de « toute l'importance de la plus puissante pensée ». Telles des ébauches de cordon ombilical reliant son être mal formé à une réalité où il pourrait s'épanouir. Hélas, à peine Icare s'élance-t-il vers le soleil qu'il doit aussitôt retomber. Comme dit précédemment, les émotions ne trouvent pas de pensées solides auxquelles se cheviller, et connaissent donc la « douleur d'un ajustement avorté ». Ainsi notre poète mort-né doit-il tracer de nouvelles spires textuelles, re-spirer et ex-spirer en une révolution permanente qui a plus en commun avec celle des astres qu'avec celle guettée par les surréalistes dans un terrain dangereusement politisé. D'où une rupture inévitable du cordon ombilical entre ce mouvement et Artaud, qui choisit d'exister par lui-même, assumant d'errer entre la vie et les « limbes de la conscience » où son esprit le repousse sans cesse. « Ma déraison lucide ne redoute pas le chaos ».

Avec ces premiers textes, la pensée d'Artaud s'exprime donc paradoxalement dans le constat de sa destruction, comme un suicide en fragments. « À chacune de mes pensées que j'abdique, je me suis déjà suicidé ». La crainte d'Hamlet se justifie : la mort n'est pas la fin. Pour Artaud, c'est un perpétuel (re)commencement.
Commenter  J’apprécie          182



Ont apprécié cette critique (18)voir plus




{* *}