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Critique de gerardmuller


Sigmaringen
Pierre Assouline (né en 1953)
Nous sommes à la fin du mois d'août 1944 dans un petit coin d'Allemagne appelé Sigmaringen. Ici les horreurs de la guerre sont bien loin. C'est alors que débarquent en ce lieu paisible la part la plus sombre de la France : le gouvernement de Vichy au complet avec à sa tête le Maréchal Pétain, son épouse, son chauffeur, son médecin personnel et le président du Conseil Laval, suivis quelques jours plus tard d'une cohorte de ministres, de miliciens et plus d'un millier de civils parmi lesquels un certain Céline accompagné de sa femme et de son ancienne maîtresse.
C'est un nommé Julius Stein, majordome allemand du château des Hohenzollern qui est le narrateur de cette histoire vraie. le château a donc été réquisitionné par Ribbentrop, un des hommes de main du Führer. Ce château a été choisi par Hitler pour se venger de la défection et le ralliement aux Alliés du roi Michel de Roumanie de la famille des Hohenzollern-Sigmaringen. Les propriétaires du château doivent quitter les lieux au plus vite et ne demeurent céans que les membres du service dirigés par Stein. La date du 1er octobre 1944 marque la date de l'expropriation.
Il apparaît rapidement que le groupe gouvernemental en exil est scindé en deux clans hostiles : l'un rangé derrière Laval regroupe des gens du genre « bras croisés et on attend », l'autre mené par Fernand de Brinon qui pensent encore diriger la France à distance et se prépare à rentrer pour chasser les usurpateurs gaullistes. Ceux qui s'imaginait que la promiscuité dans l'exil ressouderait les gens en sont pour leurs frais : les inimitiés vont aller crescendo, comme une guerre civile entre partisan d'un même monde. S'est constitué en ces murs une parodie de gouvernement en exil dont le premier privilège est de bénéficier de l'exterritorialité. Les relations entre le maréchal et Laval sont glaciales pour ne pas dire hostiles.
Julius Stein est un personnage essentiel des rouages de l'organisation de la vie au château. Il m'a fait étrangement penser à Stevens Spencer dans le roman « Les vestiges du jour » de Kazuo Ishiguro, par son sens de l'organisation et de l'honneur, rejetant tout rapport de forces et conflit de personnes, l'obéissance étant nécessaire là où l'autorité doit s'affirmer. Tenir, se tenir, maintenir : trois verbes qui résument l'attitude qui doit guider tout serviteur du château. Avec comme corollaire : monter vers les principes, ne pas descendre vers les pratiques. Julius est vu par ses subordonnés comme un être gouverné par un devoir d'obéissance, le sens de la mission et la dignité de la fonction. Dévoué depuis des lustres comme ses ascendants à la famille Hohenzollern, il n'accorde aucun crédit aux régimes politiques. Ils ne font que passer quand une grande famille s'inscrit à jamais dans la durée et dans l'Histoire.
Julius est secondé dans sa tâche par une française, Mlle Wolfermann d'origine alsacienne et par un groupe de valets français et allemands qui constituent pour Julius un réseau de renseignements très utiles.
Les conversations entre locataires vont bon train et il se dit qu'une taupe gaulliste serait sur place pour renseigner Paris. Julius est même soupçonné un moment de l'être. L'espion alimente tous les fantasmes, cet épouvantail activant le climat de suspicion qui n'a jamais cessé de régner dans ce petit monde vivant en vase clos.
Trois mois ont passé et la mélancolie s'installe avec l'hiver glacial. Les hôtes du château se détestent et les heurts n'ont de cesse dans cette cour des miracles qu'est devenu le village tranquille de Sigmaringen. Pendant ce temps Julius Stein et Jeanne Wolfermann se rapprochent et se confient l'un à l'autre. Étrangement Julius est beaucoup plus disert que Jeanne et explique son amour contrarié de la musique avec une passion toute particulière pour Schubert et ses Lieder qu'il a jadis chantés, possédant une voix de baryton remarquable.
le vent de la défaite forcit mais Julius reste comme il dit miné par l'obéissance et sa vie privée ne lui appartient plus depuis longtemps. Il sent que son pays est devenu un cauchemar, une horreur, un scandale moral, mais ce pays est le sien et le sera toujours. Imperturbablement francophile il n'en demeure pas moins viscéralement allemand car il ne peut négocier avec son âme. Il lui semble que les seuls moments de vérité sont ceux passés avec Jeanne et cette intimité lui est un baume car autant s'inquiéter seul c'est précipiter l'angoisse, autant s'inquiéter à deux c'est déjà se consoler.
Au fil des jours nait une sorte d'hélvétolâtrie chez les locataires du château, chacun sentant venir la chute et préparant sa fuite, la Suisse semblant être la meilleure destination. Cependant une surprise de taille se révèle à Julius alors que tous font leur valise. La taupe était bien cachée qui va se montrer au grand jour quand l'armée française investit le château.
Ce récit est intéressant à plus d'un titre, admirablement documenté et mettant en lumière la façon de voir les choses d'un allemand normal non nazi durant cette période très particulière. Ses remarques sur les français ne manquent pas de pertinence et son rapprochement avec Jeanne va de pair avec son amour de la France tout en restant viscéralement attaché à son pays natal, dévasté par la folie du Führer.
Une importante bibliographie est citée qui intéressera les amateurs et le destin de chacun des personnages est décrit en épilogue. Un ouvrage à lire.


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