Sous la piscine

- J'imagine que le papillon existe vraiment ? fit-elle à travers son chapeau.
- Bien sûr qu'il existe.
- Décrivez-le moi.
Il s'humecta les lèvres.
- Il est principalement marron et crème avec des motifs sinueux orange et blanc... Pardon, c'est dur de décrire un papillon sans parler des couleurs.
- Je n'ai aucun problème avec les couleurs. Épargnez-moi votre condescendance.
Wolfgang sentit le rouge lui monter au visage. Elle était différente des autres aveugles - différente en tout cas de ce qu'il s'était imaginé.
- Ses ailes sont refermées, dit-il, abaissant doucement ses deux mains rassemblées en cloche, une de chaque côté du papillon, ce qui fait que je peux voir le dessous. Mais avant ça - lorsqu'il volait -, il m'a semblé principalement jaune et noir.
- Il est grand comment ?
- Environ soixante-dix, soixante-quinze millimètres de large.
Elle écarta le pouce et l'index, comme pour en imaginer l'envergure.
- C'est grand pour un papillon ?
- Plutôt, répondit-il, le regard attiré par les ongles décolorés de la jeune fille. Il a quatre parties pointues à l'arrière, comme un genre de Queue d'hirondelle.
- Bizarre. Un papillon avec une queue d'oiseau.
- Désolé, je ne suis pas très fort en explications. La Queue d'hirondelle est un type de papillon. Avec deux espèces de queues sur les ailes arrières - mais deux seulement, pas quatre comme celui-ci.
- Je vais vous confier un secret, fit la jeune fille. Ce n'est pas la peine de me parler si fort. Je suis aveugle, pas sourde.

- Aïe ! C'est pourquoi, ça ?
- Tu viens de rater une belle occasion, mec.
- Laquelle ?
- Me dire que je ne suis pas un gros tas de merde.
- Tu n'es pas un gros tas de merde.
- Trop tard.
Audrey lâche un immense soupir et ajouta :
- Tu me trouves dégoûtante, Wolfgang ?
- Bien sûr que non.
- Je sais que je suis grosse.
- Connerie ! Tu es très bien.
- Le docteur a dit que j'étais en surpoids.
- Il doit être aveugle ton docteur.

- Je te l'ai dit - je suis crevé. Je n'ai pas beaucoup dormi cette nuit, si tu veux savoir.
- Un peu trop fait la fête ?
- Non, c'est juste à cause du vieux.
Wolfgang souffla sur l'extrémité de sa cigarette, qui rougeoya dans le noir.
- Il s'est pointé dans ma chambre vers une heure trente du matin et s'est mis à fouiller dans tous mes tiroirs.
- Bizarre. Qu'est-ce qu'il cherchait ?
- Il ne l'a pas dit. Et ensuite il m'a accusé de lui avoir volé une partie de sa collection de papillons.
- C'était vrai ?
- Bien sûr que non. Il me l'avait donnée il y a deux ans.
Audrey lança un petit crachat invisible en direction des arbres.
- C'est sans doute un peu délicat de ma part de te demander ça, Wolfgang, mais est-ce qu'il y a quelque chose qui cloche chez ton père ?
- Genre, est-ce qu'il perd la boule ? Je ne sais pas. C'est la vieillesse, sans doute.
- La vieillesse ?
- Il a soixante-quatorze ans.
- Mais c'est... Mes grands-parents sont plus jeunes que ça !
Audrey attrapa sa main libre et la serra dans la sienne.
- Tu es adopté ou quoi ?
- Des fois j'aimerais bien, dit Wolfgang.

[...]
- C'est ma résolution pour la nouvelle année. Et la tienne ?
- La mienne ? fit-il, se sentant vraiment idiot.
Tout ce qu'il avait fait, c'était essayer d'alimenter la conversation.
- Je vais... découvrir une nouvelle espèce de papillon.
- Ca, ce n'est pas une résolution. Il faut trouver quelque chose en toi que tu veux changer.
- D'accord. Je vais changer le gars qui n'a pas découvert de papillon en celui qui en a découvert un.
Elle se mit à rire.
- Espèce d'imbécile ! Est-ce qu'il y a quelque chose dans ta vie qui n'ait rien à voir avec les papillons ?
- Oui, toi, fit-il, téméraire.

- Qui c'est celui-là ? demande Leo d'un air soupçonneux.
- Le père N'guyen, dit Sylvia. Le nouveau curé de la paroisse.
- Qu'est-ce qui est arrivé au père Frazer ?
- Il est parti dans une autre paroisse.
Sur la banquette arrière, Wolfgang soupira. Il ne comptait plus les nombreuses fois où ses parents avaient déjà eu cette conversation.

- Je vais vous confier un secret, fit la jeune fille. Ce n'est pas la peine de me parler si fort. Je suis aveugle, pas sourde.

- Quel âge as-tu ?
- Vingt ans.
Elle l'observa attentivement.
- Tu fais moins.
- C'est ce qu'on me dit souvent. Et toi, tu as quel âge ?
- Vingt-deux ans.
Tu fais plus, faillit-il dire, mais il garda la bouche sagement close.