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Critique de jimruel


Une belle découverte grâce à l'opération Masse critique de l'automne 2016. Vincente Aucante nous propose dans cet ouvrage un panorama historique sur la barbarie au travers des âges, par opposition à la civilisation, et nous donne des clés pour essayer de mieux comprendre le phénomène terroriste djihadistes. le propos est très bien structuré et facile d'accès, avec de nombreuses références pour qui voudra approfondir le sujet.

Loin du discours politique selon lequel "tenter d'expliquer, c'est déjà excuser", l'auteur nous invite à la réflexion, afin de ne pas répondre trop rapidement à la violence par la violence. Rappelant de manière dérangeante que chacun porte en soi une forme de barbarie latente qui ne demande qu'à s'exprimer, Vincent Aucante nous encourage ici à cultiver notre humanité, ainsi que la charité et la compassion prônées respectivement par le bouddhisme et le christianisme. Hobbes a raison et Rousseau a tort : l'homme n'est pas naturellement bon, et il lui faut se battre pour que le bien triomphe en lui et autour de lui.

Dans une première partie, l'auteur nous rappelle l'étymologie du terme "barbare", désignant avant tout celui qui ne partage pas la langue et la culture d'une civilisation donnée. Il y a une distinction possible, mais pas toujours très nette, entre les groupes de population sédentaires, et les groupes nomades.

Vincent Aucante montre dans son livre qu'il existe une culture barbare dont les traces nous sont parvenues, malgré les difficultés de la transmission : peu de vestiges architecturaux et de rares écrits. En effet, les peuples barbares (Huns, Goths, Mongols, Bédouins, Alains...) constituent des communauté nomades privilégiant l'oralité. Ces groupes sont pourtant soudés par des règles strictes, non écrites, que chaque individu intériorise, et dont la transgression, jugée comme un manquement à l'honneur, est souvent punie de mort. Malgré cette absence de l'écrit, les tribus barbares ont développé des réseaux commerciaux ainsi que des techniques artisanales sophistiqués.

La religion est très présente au sein des tribus barbares, où chacun peut avoir une relation avec les divinités, sans qu'il y ait vraiment une classe de prêtes. Il y a beaucoup de divinités différentes, mais également un dieu tout-puissant et omniprésent, dont l'existence a favorisé le développement du monothéisme (judaïsme, christianisme, islam) au sein de ces groupes. On retrouve encore aujourd'hui des traces d'art décoratif et corporel. Un point clé également de la culture barbare est l'omniprésence de la violence et de la guerre avec les autres tribus, ou civilisations avoisinantes. Cette caractéristique s'accompagne aussi d'un mépris pour la mort, tout autant que d'une peur des morts qui risquent toujours de revenir hanter les vivants, et dont il faut s'assurer les faveurs.

Au départ simple chasseurs cueilleurs, les nomades développent la pratique de l'élevage puis celle de l'agriculture, et deviennent peu à peu sédentaires. La réduction des efforts que la communauté consacre à assurer sa subsistance lui permet de développer d'autres activités culturelles, sociales ou religieuses.

Vincent Aucante nous présente cinq stratégies développées face aux barbares de jadis : l'apprivoisement qui permet leur intégration au sein d'une civilisation, la mise à distance au moyen d'échanges commerciaux et parfois de rançons versées pour acheter la paix, le recrutement sous forme de mercenariat, la guerre contre les barbares ou la victoire démographique permettant le dépassement par le nombre.

Le titre de la deuxième partie est comme un pied-de-nez aux idées reçues : "la barbarie de la culture". Après une première partie ayant démontré que les barbares ne sont pas les sauvages incultes, conformes à l'image d'Épinal qu'on peut avoir d'eux, l'auteur va nous rappeler comment les civilisations dites développées ont subit l'émergence d'une barbarie d'Etat : nazisme, stalinisme, maoïsme, de nombreuses idéologies meurtrières se sont développées au cours du XXème siècle. Elles ont toutes en commun le programme de construire un monde meilleur, habité par une société uniforme et identitaire, d'où toute différence est exclue. le salafisme moderne, terreau du terrorisme islamiste, présente les mêmes caractéristiques. Sont également rappelés ici les massacres de la guerre de Vendée, perpétrés au nom de la République pendant le siècle des Lumières, le génocide arménien, cambodgien, rwandais...

Bien après les écrits du Marquis de Sade, la psychologie expérimentale a confirmé l'existence du plaisir sadique, et la rareté du sentiment de compassion. L'auteur cite également à plusieurs reprises l'anthropologue René Girard, ainsi que sa fameuse théorie du désir mimétique, et du bouc-émissaire dont le sacrifice permet d'apaiser les tensions internes à la communauté.

Vincent Aucante fait ici le constat que nos sociétés multiculturelles occidentales sont particulièrement exposées à la nouvelle barbarie. Ayant développé un individualisme forcené, elles sont incapables de maintenir une identité culturelle minimale, à même de proposer la recherche d'un bien commun à tous. La fragmentation de la société se révèle au travers d'un communautarisme où chaque groupe défend ses intérêts particuliers. Les seules actions militaires ne peuvent suffire à endiguer le terrorisme islamiste. Il faut que chacun lutte intérieurement contre sa propre barbarie, afin de préserver la dignité de notre humanité.
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