Tout est déjà dit dans l'introduction du livre mais ce n'est pas une raison pour que René Girard ne s'amuse pas à développer son idée sur une soixantaine de pages et surtout, je ne vais pas me gêner non plus pour y aller de ma paraphrase.
Le sacrifice, pourquoi ? Ne nous voilons pas la face, nous avons tous voulu tuer quelqu'un au moins une fois dans notre existence (la dernière fois pour moi, j'avais dix ans, depuis j'ai pris de la graine car la haine est la colère des faibles). Toutefois, depuis que les sociétés humaines existent, rien de plus difficile que de mettre au point un crime innocent à soi tout seul. Si deux personnes sont d'accord pour buter le même type, ça commence à devenir joyeux. Et plus le nombre de personnes du même avis augmente, mieux on se sent en société –sauf pour la victime désignée qui, elle, commence à suer. C'est ce que René Girard désigne avec son phénomène du bouc-émissaire. Si vous voulez vous y mettre, essayez d'être du bon côté de la barrière.
Lorsque les gens s'emmerdent au point de se prendre de haine pour une victime innocente et de se regrouper autour de ce mirage, c'est que la situation est grave. Toute ressemblance avec notre société actuelle est purement fortuite. Mais enfin. Dans le bon vieux temps, les êtres d'une civilisation savaient encore se retrouver autour de cérémonies et celle qui nous intéresse ici, c'est le sacrifice. Alors, ça ne va pas ? Au lieu d'aller faire voter sa populace tous les dimanches comme des forcenés, les brahmanes convenaient d'un jour de sacrifice et le barbeuque démarrait. Soit on projetait le bouc-émissaire dans l'autre monde, soit on sacrifiait la plante-dieu du soma en pensant très fort à l'ennemi qu'on aimerait massacrer à la place (mais pas très catholique tout ça puisque cette substitution sous-entend qu'on prend le dieu pour un con et qu'on n'imagine pas qu'il soit capable de mettre à jour notre subterfuge). Quoiqu'il en soit, le déchaînement des pulsions meurtrières permettait de calmer tout le monde pendant un petit moment.
« le miracle du sacrifice, c'est la formidable « économie » de violence qu'il réalise. Il polarise contre une seule victime toute la violence qui, un instant plus tôt, menaçait la communauté entière. »
Bref, René Girard n'a pas inventé l'eau chaude. Mais poursuivons. Il dévoile derrière les récits mythiques toute une panoplie de rituels sacrificiels qui furent déguisés en drolatiques petites histoires, tout juste bonnes à faire causer Freud au coin du feu.
Avec les Evangiles, c'est pas la même. Va savoir si Girard a lu tous les textes de l'humanité avant d'affirmer ça mais à son avis, les textes bibliques et évangéliques sont les premiers à se démarquer de l'illusion qui fait disparaître la violence des sacrifices en les cachant sous l'apparat du mythe. Sans doute connaissez-vous l'anecdote de la crucifixion de Jésus. Non ? Je vais vous la raconter. Il y a deux mille ans environ, l'étouffement graduel du petit état juif par la puissance romaine provoqua une crise mimétique qui se résorba à travers le phénomène du bouc-émissaire. Jésus fut désigné comme victime parce qu'il se prenait pour Dieu, environ. Même si tout le monde n'était pas hostile à Jésus d'abord, tout le monde le devint ensuite car enfin, entre mourir soi-même ou voir mourir un inconnu, mieux valait la seconde issue. Même Pilate céda parce qu'il fallait calmer la foule. Et voilà. L'originalité des Evangiles c'est de rendre manifeste le phénomène mimétique à l'oeuvre dans ce sacrifice –et qui serait en fait à l'oeuvre dans tous les sacrifices, selon Girard. Mine de rien, le discrédit est jeté sur la perspective de la foule entière qui se mobilise contre le bouc-émissaire. Pour résumer : « Les récits bibliques sont la représentation vraie de ce qui n'apparaît dans les mythes que sous une forme mensongère dominée par l'illusion des lyncheurs ».
Bien. A quoi ça sert de savoir ça ? Déjà, à se dire que le christianisme n'est pas si pourri que Nietzsche a voulu nous le faire croire. En effet, Nietzsche n'avait pas lu René Girard en son temps et il n'avait pas compris ce qui séparait le mythique et le biblique, à savoir que c'est le mythique qui incarne l'esclavage en nous berçant d'illusions alors que le biblique conquière une vérité radicale. Or, grâce au populaire Spinoza, même le dernier des cons sait désormais que vérité égale liberté, modulo quelques décimales. Donc, Nietzsche aurait dû comprendre que le biblique nous donnait accès à une liberté dont il ne dépendait plus que de nous de faire bon usage. Certainement, Nietzsche condamnait inconsciemment cette trop grande liberté offerte à un peuple de poules sans têtes.
Et sinon, ça sert aussi à parler crûment des faits réels : l'homme aime tuer, c'est tout. Fin des histoires. Cessons de considérer que les mythes sont des fariboles imaginaires, comme l'a fait Freud, au risque de devenir doublement sanguinaire, ce qui comporte également ses avantages.
Je pensais que la paraphrase serait plus courte, j'ai dû me perdre en chemin.
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