Vendredi 22 avril.
Saint Alexandre
Infinie patience des fenêtres, jamais fatiguées d’ouvrir à nos regards absents des matins sans cesse renouvelés, des soirs chargés de parfums, des journées entières avec vue sur la mer et souvenirs d’enfance. Heureux celui qui sait, par une fenêtre large ouverte sur rien du tout, découvrir la vie, sentir soudain frissonner la peau du monde ; il peut sans frayeur aucune s’élancer dans l’air :déjà il vole, oiseau léger ! Car les fenêtres conduisent très loin au-delà des désert quotidiens, pour peu que l’on veuille emprunter leurs chemins tranquilles, embrasser l’immense horizon de leur œil inattendu. Fenêtres : perpétuelle apothéose du printemps.
Samedi 30 juillet (Sainte Juliette)
Quand on n'entendra plus un seul chant d'oiseau, peut-être sera-t-il bien tard pour s'apercevoir qu'il n'y a plus d'arbres.
Dimanche 21 août.
Saint Christophe
Nous avancions à ventre ouvert, comme dans un rêve, et puis une vie soudain s’est brisée dans la rue et nous voici découvrant d’un coup l’atroce précarité des choses. Nous nous doutions bien que ces fruits oubliés lentement nous mèneraient vers l’automne, que nous les retrouverions en décembre, secs ; quand même nous restions tout imprégnés du sentiment de longévité des jours, nous n’accordions nul crédit aux cris des chouettes la nuit, chaque heure nous voyait changer de montre et jamais dimanche ne nous fit plier le genou. Aux terrasses complices des cafés nous buvions du vin de paille dans de longs verres à pied, le soir venu nous vendions du vent à la sauvette pour presque rien et, en dessous du pont resserré, pour nous toutes les rivières étaient en feu. Mais déjà certains de nos gestes prenaient des rides, des nuages dans le ciel passaient trop vite ; enfin un beau matin il nous fallut faire ressemeler nos ambitions.
Aujourd’hui pour éviter que tout chavire, jusqu’à l’aube nous serrons très fort la nuit dans nos bras — ô ! les beaux yeux !—, il n’empêche que chaque jour nouveau nous livre à d’incroyables intempéries, nous bouscule et tente de nous jeter par-dessus bord. De la cale à charbon où ils s’étaient jusqu’à présent cantonnés, les rats gris voraces et prolifiques se sont enhardis à pointer le museau et se conduisent maintenant partout comme en pays conquis. Nous soupçonnons d’autres bestioles, bien plus infectes et hypocrites encore, d’attendre dans la pénombre, lovées sous les cordages où à l’affût dans les soutes, prêtes à surgir et s’en donner à cœur joie au moindre faux pas. Il serait vain de vouloir recenser les tentatives d’intimidation de cette gent sournoise et cupide ou ses pressantes invites à céder la place.
Oui, voilà précisément l’état des lieux et l’âpre combat de mercenaires que nous menons, au milieu des désordres et des embûches de toutes sortes, depuis qu’une vie soudain s’est brisée dans la rue.
Demain, comme l'éternité, n'est qu'un leurre. Seul existe l'instant. Dans tout son minuscule et son détail. N'en rien perdre.
Samedi 18 juin.
Sainte Léonce
Ainsi, parfois, est-il nécessaire d’empoigner résolument la brouette verte, la charger à ras bord d’énorme blocs de pierre, puis pousser, comme ça, sans but des heures durant autour de la maison, jusqu’à se persuader enfin que, lourdement, le monde quand même existe.
D'une aile rigolarde le papillon voltigeur se tape sur le ventre de les voir ainsi vendre leur vie au commerce et à l'industrie. Alors qu'il suffirait d'un rien, un brin de fantaisie, une seconde céder aux caprices de la paresse, pour qu'aussitôt l'araignée du matin se mette en robe du soir et que, d'entre les étoiles, renaisse une miette d'espoir. Chiche !
où il vaut mieux tenter de répondre à ses propres questions qu’aux questions des autres
A quoi bon se pendre, alors qu’il suffit de patienter un petit moment pour mourir dans des draps propres ? (Mercredi 23 novembre, Saint Clément.)
Les soirs, seul, on deviendrait vite romantique, pour un verre de vin rouge.
1er Novembre :
Avons fait le tour des tombes. Tous nos morts se portent bien.