Ce qui est né dans la violence s’achève dans la violence.
Et, subitement, je me suis dit: je suis exactement comme eux, je flotte dans la vie.
Il arrivait parfois que les travaux sur le port ralentissent et on voyait des migrants affluer en ville à la recherche de quelques journées de labeur temporaire ici ou là, grâce à quiconque accepterait de les employer. Au cours de ces périodes, la ville semblait fonctionner normalement ; autrement dit, une visiteuse comme vous ne remarquerait rien d’inhabituel. Vous verrier les bus et les marchés, les commerçants balayant devant leur porte, des gens assis aux petites cantines de rus en bordure de la chaussée, mais vous ne percevriez pas l’angoisse sous-jacente, la conscience que la ville entière dépendait du commerce avec toutes sortes de sites éloignés, de l’achat et de la vente de produits à des gens dont nous ne saurions jamais rien. Si en Amérique un politicien décide qu’il ne faut plus acheter de gants en latex en Malaisie, subitement, dix fabriques de la région doivent fermer. Les Européens veulent sauver cette putain de planète, alors ils interdisent l’utilisation de l’huile de palme dans les aliments : en l’espace d’un mois, le port entier est à genoux. La vie continue, mais vous sentez qu’elle s’échappe lentement, et vous craignez qu’elle ne revienne jamais. A cause de cette peur, vous vous sentez comme en suspens. De l’extérieur, la vie semble normale, mais intérieurement elle se fige peu à peu.
(p. 321-322, “2 janvier”, Partie 4, “Janvier”).