Citations sur Corentine (20)
En quelques minutes, Corentine découvrait un fait qui jamais ne cesserait de l'étonner. Alors que, dans la domesticité d'une maison bourgeoise, les haines, les jalousies et les coups bas étaient incessants, elle allait découvrir dans cet atelier qui d'ores et déjà lui semblait pourtant une préfiguration de l'enfer, des amitiés et une solidarité rares.
« Aussi loin que la porteront , plus tard, ses souvenirs d’enfance , une sensation, une seule, reviendra hanter Corentine : avoir eu faim.
Une faim tenace , persistante, douloureuse qui, la plupart du temps, l’avait empêchée de penser à autre chose qu’à l’attente du repas à venir »
« Si vous aviez la meme paie que les hommes, ils ne le supporteraient pas!»
« La difficulté majeure restait d’échapper à la prédation sexuelle qui sévissait de manière endémique à l’hôtel de Vendres , comme dans la majorité des maisons bourgeoises ou aristocratiques de ce début de XX° siècle.
La vertu affichée des maîtresses de maison couvrait l’état de quasi - prostitution du prolétariat domestique .
Les agressions et les viols étaient souvent le fait des maîtres, mais aussi de leurs hôtes et très souvent des autres membres du personnel ».
Quant à Madame, c'est avec la gouvernante des enfants, assistée de deux nurses, qu'elle entretenait une relation épisodique lui donnant l'illusion d'être une mère parfaitement attentionnée.
L'exercice de sa fonction maternelle était en vérité des plus restreints: les enfants venaient l'embrasser avant de se coucher et avaient parfois l'autorisation de prendre le goûter dans un petit salon, privilège qui devait se justifier par une conduite exemplaire.
Face à tant de "générosité", elle était sortie quasiment étourdie sur le trottoir du VIIe arrondissement , avec le sentiment d'avoir gagné à la loterie. En revanche il restait une épreuve à affronter: annoncer son départ à Mme Derrien et obtenir un certificat de références. Et le faire vite car elle débutait le lendemain matin dans sa nouvelle place!
Résumons la situation : des juifs dans le grenier, des aviateurs canadiens dans la cave et un officier allemand au premier étage. Tout cela fut parfaitement fluide et personne ne fit de croisements malencontreux.
Le secrétaire de mairie lui indiqua avec solennité :
- Vous avez de la chance. Le corps de votre mari a été transporté dans une chapelle ardente. Nous vous indiquerons le moyen de vous y rendre aujourd'hui.
C'est cela, elle avait oublié, Corentine : elle avait "de la chance".
L'enfant poussa un cri sauvage, puis e mit à hurler. Pas à pleurer, à gémir ou à sanglier. Non, à hurler. Le hurlement profond d'un animal qu'on met à mort. Un hurlement de désespoir absolu, brut, qui ne demandait rien, ni grâce, ni délai. Ceux qu'elle aimait l'avaient trahie et abandonnée, poussés par la misère et la lâcheté.
Aussi brutalement que le hurlement avait jailli de sa poitrine, il s'arrêta. La fillette ne se retourna pas vers sa mère, repoussa sa main qui voulait la bénir, prit ses hardes des mains du marchand de chevaux pour lui signifier qu'elle était capable de mener sa vie par elle-même et alla, digne, s'asseoir sur le banc de la carriole. L'homme monta prestement, fit claquer son fouet et tous deux partirent sans un regard pour la masure.
A sept ans, Corentine était devenue adulte.
Corentine sait donc que l'école ne sera jamais pour elle et n'en conçoit ni regret ni amertume. D'une certaine façon, apprendre à lire et à écrire l'aurait coupée des siens. Se dévouer à sa famille, protéger sa mère, ses frères et sœurs, faire ses prières, obéir à son père, sa vie est devant elle. (p. 59)