Le cœur empli de joie, je respirai cet air chaud et parfumé qui dilatait mes poumons. Le monde exultait autour de moi et je retrouvais mon souffle, celui que la maladie avait presque éteint. J’oubliais les dieux enseignés par nos professeurs. Ici, sous le ciel, contre la mer, la philosophie avançait pieds nus. C’était cette image que je voulais fixer pour l’éternité.
Une brise ténue agitait des pins parasols recourbés comme des vieillards. Plus haut, un phare surplombait les ruines et saluait l’horizon en fuite. De la mer montait le son caverneux de l’eau soupirant dans la roche. Ce baiser des Titans et des Nymphes se répercutait dans l’atmosphère chargée d’humidité.
« Je suis un homme heureux et il vaut mieux cacher cet état qui n’est jamais bien vu dans le milieu des gens de lettres, cette jungle dont les fauves sont miteux »
J’ai rencontré une jeune femme sur le pont , hier soir. (…) Elle s’appelle Moira. Le prénom m’a fait tiquer, bien entendu. Visage fin, longues jambes, elle s’agit beaucoup en parlant, soulignant ses dires avec de grands gestes. Des yeux immenses et bleus comme le ciel. Elle porte les cheveux courts, bien que cela ne soit plus à la mode depuis la fin de la guerre. Elle est si exaltée que la vie lui semble une aventure perpétuelle. Je tombe sous le charme.
Je reprends mon journal. Je m’astreins à écrire tous les soirs, dans ma cabine. Il faut tout noter, en omettant l’intime, qui ne regarde que moi. Hier soir, sous la lune et les étoiles, la poésie surgissait avec les flots. Le ciel changeait, virait, de ci- de-là, comme le vent ; Des phosphorescences chantaient dans l’écume.