Curieux mélange, ce livre. Comme titre, « Moi, Allah, les autres » siérait mieux.
On y traite de l'Algérie des années 70 et 90, et c'est très bien. C'est rare et c'est bienvenu.
On y traite d'un enfant puis adolescent malade, idem. de la déconvenue de la religion, idem. de la misère sexuelle (le terme est soixante-huitard) de la jeunesse maghrébine, idem.
Puis le jeune a la chance (par quel piston ? aux frais de qui ?) d'aller se faire soigner en France, puis d'aller étudier en France (idem) et de voyager. Et là, tout bascule.
Les pages de S. Bachi consacrées à raconter ses aventures sexuelles, à nommer et décrire ses partenaires, ne présentent d'intérêt d'aucune sorte. Elles me font penser aux jeunes que j'ai vus à Alger, retour d'Europe, raconter leurs exploits réels ou imaginaires à leurs copains restés au pays faute de devises ou de piston pour un visa, puceaux et frustrés, rêvant d'ailleurs et méprisant en même temps ces femmes sans pudeur et ces hommes sans honneur.
La relation de ses voyages, un peu onirique et hors-sol, m'aurait plu mais elle détonne en style et en contenu avec les chapitres précédents et elle a un goût de déjà-lu (mais sous la plume de qui ?
Nerval ?
Malraux (dans
Antimémoires ?) ?)
Pour des raisons personnelles, j'ai fait au milieu des années 70 de nombreux courts séjours chez une famille algéroise. J'ai aussi traversé le pays d'est en ouest, et fait deux virées dans le grand sud. Jusqu'à ce jour je n'ai pas raconté tout ce que j'y ai vu et vécu. Au début c'était pour ne pas en ajouter au racisme déjà présent ; ensuite c'était par négligence (humilité, lâcheté ?). S. Bachi le fait, et c'est mieux ainsi.
Lorsque j'ai voulu apprendre l'arabe (en Afrique centrale, cette fois), mon premier précepteur ne connaissait d'arabe que le Coran ; la langue n'était qu'un moyen, et connaître par coeur les sourates le but. Je ne sais donc pas demander en arabe mon chemin mais je sais louer le dieu unique et maudire Abou Laab, les sorcières et les porteuses de bois. Et j'enfreins chaque jour les versets qui m'ordonnent de tuer les mécréants. Je retrouve donc beaucoup de choses dans l'expérience de S. Bachi.
J'avais alors entendu dire que Nasser, pour se débarrasser de ses Frères Musulmans et se donner une image de bienfaiteur panarabe, avait envoyé ses intégristes comme instituteurs en Algérie pour remplacer les Français, et que là était le germe du FIS et du GIA.
Quant aux relations hommes-femmes… Les filles étaient désirées, recherchées, mais cachées. Et la frustration qui en découlait se cachait derrière le mépris et l'agressivité, voire la violence. On le voyait à ces grappes d'adolescents oisifs, sur les trottoirs des grandes villes, interpellant les passantes. On le voyait aussi dans le comportement des parents vis-à-vis de leurs fils, dès l'enfance.
On lit peu de témoignages sur la façon dont vivent les jeunes gens dans ces pays à la morale conservatrice étriquée, leurs rêves, leur oisiveté, leur absence de perspectives. On lit peu de choses qui expliqueraient pourquoi ils rêvent de venir pour un séjour en Europe (gagner un peu d'argent, se former, ou ne serait-ce que tirer un coup), qui expliqueraient pourquoi des centaines d'entre eux chaque année quittent clandestinement les côtes d'Algérie ou de Tunisie.
Le « printemps arabe » a accouché de régimes aussi policiers -peut-être pas aussi corrompus ? - que les précédents et s'appuyant au moins autant sur une religion mélange de code socio-politique et de louange au créateur et un livre recueil d'injonctions contradictoires. S. Bachi a le courage (eh oui, il doit avoir énormément d'ennemis) de raconter cela.
Une génération a eu le courage de se sacrifier pour l'indépendance. Qu'ont fait les suivantes ? (qui désirent en secret et haïssent en public le monde occidental).
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