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Critique de Florent82


A la croisée du journalisme, de l'histoire, et de la sociologie, l'enquête de Raphaelle Bacqué et d'Ariane Chemin retrace l'évolution de la ville de Trappes, passée en quelques décennies de bastion communiste au titre, peu élogieux, d'une des capitales européennes du jihadisme. Plus prosaïquement, l'ouvrage s'inscrit dans la lignée du travail de Davet et Lhomme, eux aussi journalistes au Monde, auteurs de ''Inch'allah'' (2018), qui analysaient l'islamisation croissante en Seine-Saint-Denis. Ces thèmes, abrasif au possible, et jadis réservés aux commentateurs les plus sulfureux du débat intellectuel hexagonal ; Zemmour, Obertone, ou Guilluy parmi d'autres, se voient aujourd'hui réappropriée par une strate plus consensuelle, étiquetée centre-gauche, qui aspire à livrer son analyse sur ce qui se trame en banlieue.

L'ouvrage parvient parfaitement à retranscrire la genèse de la ville de Trappes sous l'égide du maire historique Bernard Hugo, qui a officié de 1966 à 1996. Fief communiste par excellence, Trappes s'est construit sur le prisme du multiculturalisme. En effet, dans les années 1950-1960, l'État français fit venir moult travailleurs étrangers, notamment maghrébins et plus particulièrement du Maroc, ceci afin de fournir une main d'oeuvre bon marché au patronat de la région. Cette immigration, purement de travail et masculine, qui se voulait temporaire, a par la suite perduré. Pompidou puis Giscard d'Estaing, en accord avec les patrons, privilégièrent la piste du regroupement familial pour éviter que les travailleurs ne retournent chez eux. Cette décision a profondément bouleversé la sociologie de la France et en particulier des banlieues. A la fin des années 1970, l'État français, essayant de faire marche arrière en proposant des ''primes de retours'' n'a pu que constater qu'elles n'intéressaient plus personne, et que les populations immigrés s'étaient installées définitivement sur le territoire.

Bacqué et Chemin parviennent parfaitement à retranscrire cette mutation. On comprend que la prééminence actuelle de l'Islam à Trappes est avant toute chose une histoire de nombre puisque la ville de 30 000 habitants compterait environ ''70% de musulmans''. La deuxième et, surtout, la troisième générations, rejettent la conception religieuse de leur aînées qui voient la religion avant tout comme une affaire privée. Tandis que le communisme s'effrite, pour ensuite quasiment disparaître, la revendication, poussée par le nombre, devient politique comme attestée par l'alliance de l'UMT (Union des Musulmans de Trappes) avec le socialiste Guy Malandain, qui arriva à la mairie contre la promesse de la construction d'une grande Mosquée au début des années 2000. C'est à cette période que la bascule se fait, irrémédiablement. Anciennement un melting pot de cultures diverses ; maghrébins, portugais, capverdiens, ces populations fuient la ville sous la poussée de l'islam politique. A la même période, l'incendie de la Synagogue couplée à l'hostilité croissante de la population à l'aune du conflit Israélo-Palestinien convainquirent les Juifs de déserter la Trappes.

L'islam fît réellement son entrée dans Trappes sous l'impulsion des Tablighis puis des Salafistes et Wahhabites. Plutôt accueillis avec bienveillance par les aînés bien qu'ils rompaient avec leur conception de la religion, ils arrivaient à détourner les jeunes de la délinquance et de la toxicomanie, véritables plaies à Trappes. Cela a eu pour conséquence de bouleverser la sociologie de la ville et la vie quotidiennes des Trappistes. L'enquête fourmille d'exemples et d'anecdote qui éclaire sur l'ampleur du phénomène. Ainsi, il est devenu très difficile pour les professeurs d'évoquer certains sujets scientifiques, le Darwinisme, ou politiques, la laïcité. Les émeutes de 2005 ou encore les oppositions à Charlie en témoignent. L'espace public est de plus en plus fragmenté selon le sexe ; prééminence du voile, impossibilité pour les femmes d'aller dans certains endroits, etc...

Au final, Bacqué et Chemin offrent une enquête détaillée et approfondie de la ville de Trappes. le livre, construit autour de témoignages de gens plus ou moins connus (Omar Sy, Nicolas Anelka, Jamel Debbouze) permet de saisir la complexité de la situation. On comprend parfaitement comment l'Islam a pu s'implanter dans la ville de Trappes, aidé par des responsables politiques qui n'ont pas su saisir à temps la portée du phénomène. L'ouvrage, équilibré et facile d'accès, ne tombe pas dans le piège de la binarité qu'utilisent parfois les médias pour dépeindre les banlieues. Il est, au contraire, équilibré, dans sa démonstration de la l'évolution douce et tranquille, bien qu'inéluctable, de Trappes. On aurait toutefois aimé une cinquantaine de pages supplémentaires sur la situation actuelles et ses conséquences. En effet, certains évolutions majeures des moeurs sont survolées ou, au mieux, évoquées trop sporadiquement. Ainsi, la séparation hommes/femmes dans un certain nombre de lieux, l'homosexualité qui ''reste un tabou en banlieue'', les nouvelles générations en rupture avec leurs aînés à qui elles reprochent un dévoiement du véritable islam ; tous ces sujets auraient mérité un approfondissement plus détaillé tant ils sont fondamentaux. C'est peut être la seule limite de l'ouvrage, qui ne s'autorise pas d'aller au bout de son propos en voulant préserver un propos le plus neutre possible. ''Communauté'' reste toutefois un travail sérieux et fascinant sur cette anomalie qu'est la ville de Trappes, banlieue populaire des Yvelines, ceinturée par des villes riches et cossus, et devenu l'épicentre du jihadisme en France. Avec 67 de ses enfants partis au jihad, la ville signe un triste record européen.
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