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Critique de nilebeh


En 2020 il existe encore de nombreux opposants à l'abolition de la peine de mort. Mais le débat étant très ancien et le sujet très politique, peu osent ouvertement exprimer leur idée de la justice. Il en allait tout autrement en 1972. Nous sommes sous Pompidou, il y a très longtemps qu'une sentence de peine capitale a été mise à exécution. le Président de la République exerce son droit de grâce et l'affaire retombe dans l'oubli.

juin 1972, l'élection présidentielle n'est plus très loin. Un jeune avocat de 44 ans, Robert Badinter, en association avec Philippe Lemaire, plus expérimenté, a la lourde charge de défendre Roger Bontems. Bontems-Buffet, un couple de noms que j'ai encore en mémoire, avec sa charge médiatique, les émotions et les débats qu'ils auront engendrés dans les salles de classe, dans les journaux, les familles. Je me souviens que parmi les thèmes de débat qui revenaient au cours de ma formation universitaire figurait celui de la peine de mort. Pour ou contre ? Les arguments volaient, les injures aussi parfois. Et cette question qui nous revenait sans cesse jetée à la figure : et si c'était ton enfant qu'on avait tué ? ou ta mère ? La justice réduite à un cas particulier, à un trop-plein d'émotion...

Badinter raconte le procès, la mutinerie dans la prison de Clairvaux (pour moi ce n'était qu'une abbaye cistercienne superbe, située près de Bar sur Aube!), le meurtre d'un gardien et d'une infirmière par deux détenus : Bomtems, Buffet. J'ai entendu ces noms accolés comme un couple infernal pendant des mois.
Buffet a avoué le meurtre du gardien mais accuse Bontems de celui de l'infirmière. D'une maîtrise parfaite, désireux de mourir , il semble vouloir entraîner Bontems à tout prix. Badinter pourtant fait la démonstration que Bontems n'a pas pu égorger la femme, avis d'expert et témoignages à l'appui. On a l'impression que jusqu'au bout il aura cru à un issue positive pour son client. D'abord relaxe par le jury, puis cassation, enfin grâce présidentielle. Aucun suspens, nous connaissons tous la fin. Badinter laisse supposer que si, pour la première fois dans l'Histoire de la République, le chef de l'Etat n'a pas exercé son droit de grâce, c'est sous la pression de la rue, des médias, voire du contexte politique. Fâcheuse faiblesse pour un président humaniste, normalien.

Badinter raconte le procès comme une pièce de théâtre : les lieux, la disposition des acteurs, les rebondissements, les tirades, les réactions du public, tout y est. Il nous fait remarquer très justement que l'accusé n'est considéré que comme tel, jamais comme un être humain. « Accusé, levez-vous » : jamais on ne l'appelle « Monsieur », suivi de son nom. Les lieux mêmes sont partiaux : jurés, avocat général, procureur sont sur un même niveau, situés au-dessus de la défense et de l'accusé entre les gendarmes. La justice semble avoir pris parti : les jurés sont dans l'équipe de la partie civile, le défenseur semble leur adversaire !

Puis il nous apprend que tout a changé depuis Vichy : le jury populaire était souverain, on le fait délibérer désormais en présence (sous l'influence ?) des robes noires et rouges des avocats de l'accusation (en rouge) et du procureur (en noir).
La théâtralisation des débats est ici restituée dans des détails marquants : la circulation des photos des victimes produit un effet immédiat sur les visages des jurés, anéantissant les efforts précédents pour les convaincre. On dirait un jeu sordide qui aura pour issue la décapitation de deux hommes. Convaincre, séduire, semer le doute, user d'une éloquence travaillée, provoquer un coup de théâtre, croire un moment qu'on a gagné, retomber dans le doute et la peur d'échouer : ainsi vit-on pendant la durée du procès. Pourra-t-on ensuite reprendre le cours de sa vie, passer à autre chose, mettre de côté l'horreur d'une décapitation (sur laquelle Robert Badinter ne s'étend pas) ?

Le livre est très personnel, bien sûr, mais tout un chacun peut y trouver de l'intérêt, partager les émotions, espérer avec l'auteur. Avec Bontems, peut-être aussi, quoique ce dernier reste assez falot.

Il m'est arrivé d'assister à des procès d'assises avec mes stagiaires, j'ai toujours eu l'impression d'une part que tout était joué d'avance, d'autre part que n'importe qui, absolument n'importe qui pourrait un jour se retrouver devant un tribunal.

Ce livre est utile, nécessaire sans doute, quoique très daté. L'écriture en est élégante, soignée, très personnelle. le débat ne sera jamais clos sur l'abolition de la peine de mort. Il est indispensable de réaffirmer la loi, de rappeler les principes de l'exercice de la justice.
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