Citations sur L'Exécution (53)
Le courage, pour un avocat, c'est l'essentiel, ce sans quoi le reste ne compte pas : talent, culture, connaissance du droit, tout est utile à l'avocat. Mais sans le courage, au moment décisif, il n'y a plus que des mots, des phrases, qui se suivent, qui brillent et qui meurent. Défendre, ce n'est pas tirer un feu d'artifice : la belle bleue, la belle rouge, et le bouquet qui monte, qui explose et retombe en mille fleurs. Puis le silence et la nuit reviennent et il ne reste rien
Il y a ainsi sous-jacente, dans une audience d'assises, une sorte de racisme judiciaire, inconscient, inavouable, omniprésent qui fait qu'il y a d'un côté les honnêtes gens, et d'abord ceux qui jugent, et de l'autre côté le sacrilège, celui qui a violé les interdits.
Je rêvais, je rêve toujours à mon père comme à un Juste, au sens le plus fort que les juifs donnent à ce mot. Sa mort m'était une blessure secrète, toujours à vif. Elle était le signe de l'injustice, toujours présente.
Je connais les traits de la haine. Les hommes de ma génération ont eu souvent l'occasion de la rencontrer. Mais elle revêt son pire visage quand elle se pare du masque de la justice. La haine furieuse fait peur. La haine justicière fait honte.
Dans l'appartement, les lumières étaient demeurées allumées. Tout était silencieux. Je suis allé à la cuisine. La théière, les tasses étaient encore sur la table. Nous nous sommes assis, ma femme et moi, l'un en face de l'autre, comme tout à l'heure. [...]
J'ai regardé l'heure. Il était six heures passées. Hier, à la même heure, Bontems dormait sans doute. Son angoisse de la nuit était achevée. Aujourd'hui aussi. Et pour toujours.
Bontems était mort. J'avais vu Bontems aller à sa mort. J'avais vu mourir un homme que j'avais défendu. Plus jamais je ne pourrais faire quoi que ce soit pour le défendre encore. on ne plaide pas pour un mort. L'avocat d'un mort, c'est un homme qui se souvient, voilà tout. [...]
Quel était donc le sens de tout ce qui s'était passé, de tout ce que nous avions fait ou voulu faire pour lui, nous ses avocats ? Je regardais mon image dans la glace. Ce n'était pas là que s'inscrivait la réponse. Il n'y a pas de tête d'assassin. Il n'y a pas non plus de visage d'avocat vaincu. J'éteignis la lumière. La vie, ma vie continuait. Je n'en étais pas quitte pour autant. Cette nuit-là, je le savais maintenant, ne s'achèverait pas à l'aube.
En route, je leur répétais quelques conseils que je tenais de mon maître. Je n’y croyais pas. Eux non plus sans doute. Ce devait être une de ces recettes que les avocats se passent de génération en génération. C’était un peu ridicule, mais au moins, je rappelais ainsi, indirectement, que d’autres avant nous avaient vécu les mêmes moments et les avaient surmontés. Après tout, c’était notre première exécution.
Je ne crois pas à la prédestination des criminels.
Je ne crois même pas à leur destin.
Sauf quand la vie s'arrête et que tout est dit pour eux.
L'avocat retourne à son banc. Qu'a-t-il fait réellement pour l'homme qu'il défend? Quand il a fait son métier, il lui est aisé de se dire qu'il a tout tenté, et que la décision ne le regarde plus, sauf pour son palmarès. C'est là le piège le plus subtil -Celui où se prend le plus aisément l'avocat. La bonne conscience lui est si facile. À lui qui ne requiert pas -qui ne juge pas- qui ne décide pas. À lui qui est toujours du bon côté de la barrière.
Au Moyen Age on mettait les lépreux à l'écart des villes, on les obligeait à porter des clochettes comme du bétail, pour qu'on les entende venir et puisse s'en écarter à temps. Il n'y avait pas de lépreux visibles. Mais la lèpre était toujours là, bien vivace, dans l'ombre. Nous en sommes encore au Moyen Âge quand il s'agit du crime, cette lèpre de la société.
Je n'avais pu empêcher que l'on condamnât Bontems à mort. A quoi sert un avocat ?