Mon père n'est plus si imposant. Chaque fois que je le vois, il me semble occuper moins de place, à moins que ce ne soit moi qui déconstruise le gigantesque édifice que j'ai érigé quand j'étais petit.
Liz me regarde droit dans les yeux, mais avec des prunelles obscures qui ne réagissent pas au contact visuel. Elle fixe quelque chose entre nous qu'elle seule peut voir.
Il est neuf heures et demie du matin, il n'a pas prononcé un traître mot depuis qu'on m'a conduit dans son bureau il y a bientôt deux minutes. Il se contente de m'observer avec intérêt, tel un botaniste face à une nouvelle espèce de mauvaise herbe, qui réfléchit au nom qu'il lui donnera quand il l'aura arrachée.
Liz lui trouve l'air d'une statue triste, incapable de parler pour exprimer ses sentiments, et qui ne peut que rester ainsi, prisonnière d'une forme que d'autres lui ont donnée, sans pouvoir la changer.
« Maman ne veut plus habiter ici, poursuit-il. Je crois qu’elle veut partir et vous emmener.
- Agni aussi va déménager. » Le regard de Liz reste rivé au maigre éclat qui brille dans les yeux de son père, elle ne peut se concentrer sur rien d’autre. « Elle dit qu’elle ne va jamais revenir. Que les petits patelins finissent par étouffer tous ceux qui y habitent. »
Mon regard tombe sur le sac en plastique. Je n’ai pas touché au moindre médicament qu’il contient depuis mon retour d’Oslo il y a bientôt deux mois. Je continue en revanche de prendre ceux qu’Ulf me prescrit. Des gélules de Neurontin. Des injections de Risperdal tous les quinze jours. Quant aux comprimés de Seroplex, ils sont inefficaces, je les enfonce dans la terre de la seule plante verte que je possède, en espérant qu’ils germeront un jour et deviendront un arbre du bonheur plein de vitalité.
"Écoutez ! " Un homme d'un certain âge, avec une barbe grise et des lunettes rondes qui crient la dictature du prolétariat, brandit une betterave à moitié épluchée comme si c'était un cœur battant. "Et si on respirait un bon coup, qu'on se regardait dans les yeux et qu'on s'écoutait vraiment ?" Sa main est rouge, ce qui s'écoule entre ses doigts ressemble à du sang frais.
Elle sent que sa mère essaie de rompre le moule qui l'emprisonne, de briser l'argile qui la maintient dans cette posture, en vain. Elle est comme ça depuis si longtemps, elle ne pourra jamais se libérer sans que quelqu'un l'aide.
Mon père se redresse. « Mais l’Islande est un jeune pays. » […] « Nous sommes le cancer qui tue ce pays. » […] « De perpétuels insatisfaits qui courent dans les centres commerciaux à la recherche de choses dont ils n’ont pas besoin, qui tuent et mangent plus que nécessaire, qui creusent et construisent où bon leur semble, sans se soucier de ce qu’ils détruisent, dans le seul but d’avoir une belle vue pour boire leur verre de vin. Les gens sont le cancer qui tue notre planète, ils détruisent l’organisme dont ils ont eux-mêmes besoin pour survivre… »