« Ulf dit que vous êtes impuissant… » A la table de cuisine d’Ulf dans sa maison d’Enganes, Doris me considère d’un air interrogateur. Cette nouvelle petite amie est une sexologue […] « Dites-moi, vous vous masturbez souvent? » Je fixe intensément mon potage comme si je n’avais pas entendu la question. « Thorkild ne se masturbe pas » glisse obligeamment Ulf tout en nous servant de vin, avant de s’asseoir entre nous. […] « Avez vous essayé de vous placer dans un scénario sexuel, d’imaginer des situations, des gens qui d’ordinaire éveilleraient chez vous une réaction sexuelle avec érection induite? -Je ne sais pas… » Crispé, je baisse de nouveau les yeux sur mon potage […] « Je peux vous donner quelques exercices qu’il pourrait valoir la peine d’essayer quand vous êtes seul… - Merci » Je remue sans but ma cuillère dans mon potage. « C’est vraiment trop gentil de votre part ».
Elle pince les lèvres, les plis de ses commissures se contractent. « Il faut toujours réfléchir à la destination où nous emmène notre imagination et surtout aux fantasmes auxquels on s’adonne ; mais on a aussi le droit de les garder pour soi, en soi, vous savez. Tant que vous avez le sentiment qu’ils vous apportent quelque chose et ne nuisent ni à vous ni à autrui…
Six mois se sont écoulés depuis la dernière fois que j’ai essayé de rejoindre Frei, et échoué, six longs mois sans voir, toucher, sentir son froid contre ma peau, mais cela ne signifie pas que j’ai cessé de penser à elle. Le temps passe, non pas parce que le manque se désagrégerait ou pâlirait, mais parce que ça fait mal de vouloir mourir et que, pendant le cheminement vers le bas de la spirale, on a besoin de médicaments pour atténuer la douleur. Il y a eu des journées, des nuits interminables, où j’étais seul dans mon studio à fantasmer, à essayer de retrouver l’entrée de la spirale, mais je n’y suis pas parvenu à temps avant que le jour tape à nouveau contre le plaid en laine qui occulte la fenêtre du salon