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Critique de KRYSALINE555


Élise Caravelle perd la raison et rentre dans un état catatonique à la suite du suicide de son mari qui a choisi la fuite face à ses futures responsabilités paternelles. Elle délaisse alors totalement sa fille Anna-Marie, développant même une profonde aversion pour elle qui la ramène sans arrêt au suicide de son mari.

Heureusement, Une voisine prend pitié de cette mère incapable de gérer la situation et de prendre en charge la logistique du bébé. Elle s'occupera de la mère jusqu'à son internement en hôpital psychiatrique et recueille la petite à l'insu de tous. On verra plus tard que Monique Bonneuil est loin d'être le « bon samaritain » qu'on s'imagine. Sa démarche est au fond très égoïste et non pas altruiste comme on aurait pu le croire au départ.

Celle-ci va donc élever seule et pour elle seule la petite Anna-Marie, dans le huis-clos de son habitation. Tout l'univers d'Anna se cantonnera à cet appartement. Ainsi, jusqu'à ses 11 ans, Anna-Marie va ignorer qu'il existe un « ailleurs » en dehors des quatre murs aux fenêtres calfeutrées de son quotidien. A cet âge, Monique décide de la confronter à la réalité et de lui présenter sa mère afin que le choc subît par la petite fille l'attache définitivement à elle, Monique. Qu'Anna préfère le cocon rassurant qu'elle lui offre.

Mais, le choc avec le monde extérieur, d'abord (la rue, les voitures, les gens, les bruits, les odeurs inconnues d'elle jusqu'alors) et le traumatisme qu'elle ressent à la vue de cet être censée être sa mère, n'aura pas du tout les effets escomptés par Monique. Lors de la seconde visite à Élise, celle-ci va se comporter de façon démente et traumatiser Anna-Marie pour de bon, qui y voit son propre reflet dans les yeux fous de sa mère. Elle en repartira marquée pour le restant de ses jours et pour le pire !

En effet, franchement… qui ne « pèterait » pas les plombs (et pas qu'un seul mais le tableau tout entier !) face à une telle situation, d'autant qu'il s'agit d'une enfant. Qui résisterait à tant de traumatismes d'un coup ? Pas Anna-Marie en tout cas, elle qui évoluait dans un monde sinon « aseptisé » mais au moins "protégé" et dans une ignorance totale jusqu'alors.

Ébranlée et torturée par l'image de sa génitrice et de son rire démoniaque, elle va se mettre à se comporter de façon étrange, agressive et totalement imprévisible. Elle va se livrer à un acte aussi insensé que barbare. Monique découvre horrifiée qu'elle a élevé un « monstre ». Monstre qu'elle a pourtant fabriqué elle-même. Monique va alors l'enfermer à nouveau dans l'appartement et la traiter pire qu'un paria, niant même son existence. Anna vit alors comme une « bête ».

Un jour, sans aucun repère et dans sa folie, elle commettra l'irréparable à 13 ans et s'enfuira avec SDF rencontré au hasard de sa fuite. S'ensuivra une histoire compliquée, tortueuse et destructrice.

Détestée avant de naitre, l'enfant, marquée par une tâche de vin sur son visage, n'avait aucunes chances ! Condamnée qu'elle était avant d'arriver ! Un lourd passif à son « actif » avant même de pointer le bout de son nez façonnera dès le départ un destin tragique de bout en bout.

Tout au début, on se demande ce que peut bien contenir ce fameux sac. Mais après tout, ce que contient ce sac n'est finalement pas le centre du problème. Il ne représente juste que l'aboutissement de toute la vie d'Anna…

Même si le roman est écrit à la première personne, j'ai néanmoins réussi à garder de la distance par rapport au personnage ce qui m'a permis de ne pas sombrer dans la détestation lorsque Anna perpètre ces atrocités. Même si cela m'horrifiait, j'arrivais quand même à comprendre le mécanisme qui l'animait (sans toutefois l'excuser tout de même).

Cette enfant, élevée en claustration totale, en recluse, par une vieille « sauvage » qui s'en est gardé l'usage exclusif, ne va pas comprendre, exprimer et savoir contenir la violence qui va l'animer suite à la découverte du monde extérieur, sa révolte par rapport à la vie en découvrant sa génitrice qui l'a rejetée et maudite. Cette vie qui lui tombe dessus alors qu'elle n'est encore qu'une enfant, qu'elle ne comprend pas. Elle agira avec violence, commettra des actes que l'on peut juger de « monstrueux » par carence de connaissances, d'elle-même et de la vie. Elle n'a jamais appris à gérer ses émotions. Elle réagit comme le ferait un animal : l'attaque en cas de peur de l'inconnu.

S'il fallait trouver un défaut à ce livre, j'ai trouvé que l'auteure a un peu bâclé les choses lorsque Anna se retrouve dehors, confrontée au monde extérieur dont elle n'avait même pas idée. Après un tel confinement (pour reprendre un mot « tendance » en ce moment !!) forcé, elle ne semble pas si effrayée et perdue que ça. Ce qui logiquement devrait être une secousse sismique de magnitude 10 au moins dans sa vie, elle s'adapte au contraire très vite au taxi et aux voitures, par exemple. Elle aurait dû être « agressée » par les bruits, le foisonnement des couleurs, la circulation, l'explosion de la vie quoi ! Je trouve que l'auteure ne met pas assez l'accent sur ce coup de tonnerre dans la vie de la gamine. On ne sent pas l'impact violent que cela a dû aussi avoir.

Alors, évidemment en comparaison de la rencontre avec sa mère dans un hôpital psychiatrique, la découverte du "monde" à côté c'est de la gnognotte allez-vous dire !!

Oui, mais non. Je trouve que les émotions de la petite sont minimisés ; cette confrontation à la réalité n'était pas anodine quand même ! C'était comme une seconde naissance en quelque sorte. Ça ajoute au trauma. Tout son monde « connu » s'écroule, tout ce en quoi elle croyait, tous ses repères : une déflagration à rendre fou et parachevée par la collision avec sa vision maternelle !

Pour l'histoire globale, c'est le récit d'une vie misérable, condamnée au désespoir. C'est un roman sombre et sans lueur d'espoir qui n'a d'égal que la noirceur des personnages plus affreux les uns que les autres. L'histoire de la misère humaine, à la Zola, celle d'Hugo dans « les Misérables » avec même ses Thénardier !

Cette misère qui existe encore maintenant à tous les coins de rue (sans aller jusqu'au meurtre – quoique ça existe aussi…). Des monstres qui ne sont que le produit de la société (Monique Bonneuil en l'occurrence dans ce livre), car Anna, même si sa venue est marquée du sceau de la souffrance, n'est pas née meurtrière ; on ne naît pas la rage au ventre ; elle s'apprend d'après ce que l'on vit ; puis elle se cultive au fur et à mesure des expériences que l'on cumule, elle s'affermit (ou pas) selon l'éducation qu'on reçoit. Elle le devient en réaction à des traumatismes subit tout au long de sa vie ; Pour Anna, sa violence se révèle à 11 ans en réponse à la violence du choc subit.

Plus généralement on peut se demander si la « Société » est responsable de la « fabrication » de ces monstres ? Pour ma part je pense que oui (oui et non selon la personnalité et son degré de résistance au malheurs). Pas dans sa globalité évidemment, mais à échelle individuelle sans aucun doute.

Maintenant l'esprit humain est tortueux et chacun a une sensibilité différente. Certains seront « détruits » ou « détraqués » avec ce qui semble être peu pour d'autres. Chacun a sa propre résistance au mal mais il arrive que la raison vacille, que l'ampoule grille, que l'ordinateur central (comprenez le cerveau) soit à la masse, temporairement ou définitivement. le déclencheur peut même passer inaperçu parfois.

Ici, nous avons un concentré de misère, une véritable bombe à retardement. Mais la mèche est allumée, le détonateur enclenché à la naissance, la corde se consume lentement, c'est juste une question de temps... C'est un compte à rebours sans réversion possible. Noir c'est noir…

La fin ? Je dirai que ce n'est pas le but du livre. Ce que contient le sac, est important oui, mais peut importe ce qu'il y a en définitive. J'ai mon interprétation : certes, c'est triste à mourir mais c'est comme si la boucle était bouclée et que quelqu'un quelque part décide d'arrêter d'enclencher des détonateurs.



Certains n'aimeront pas (ou n'ont pas aimé) ce côté totalement désespéré du livre, cette absence de lumière au bout du tunnel, d'espoir. Mais cette histoire n'est pas une romance, la vie souvent n'est pas qu'une romance. Certes ce roman est noir, glauque, désespéré ; la misère et la malchance n'a pas de limite. Aucune rémission possible.

J'ai aimé l'écriture de l'auteure, qui décrit l'indicible sans tomber dans le pathos. Toute cette misère m'a touchée, émue au plus profond de moi car je sais que de telles situations existent. Elles étaient plus que monnaies courantes au siècle dernier, mais elles restent malheureusement tragiquement d'actualité de nos jours. Certes il y a des prises en charge sociales mais des drames sociaux persistent malgré tout.

Moi, je dis un grand bravo à l'auteure qui a su me captiver et maintenir mon attention jusqu'à la dernière ligne. Qui a si bien décrit les tréfonds de l'âme humaine. Qui dit qu'on n'est pas seul maitre de son destin et pas seul artiste de son malheur. Et qui dit, non et malheureusement, on ne naît pas tous égaux, ça n'est pas vrai.
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