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Critique de Emnia


Emnia
01 février 2015
Une étonnante et remarquable incursion de mon auteur de SF favori dans un univers fantastique et onirique.


Blake, personnage peu recommandable, psychologiquement très instable, s'empare d'un Cessna, sans vraiment savoir piloter, et s'écrase dans un fleuve longeant la petite ville de Shepperton, dans la banlieue de Londres. Miraculeusement, après plus de 10 minutes passées sous l'eau, il s'échappe de l'appareil, mais quelque chose en lui a irrémédiablement changé. Au fil des pages, d'homme il va devenir dieu, ses rêves de nuées merveilleuses d'oiseaux, de métamorphoses animales, vont s'immiscer dans la réalité. Engendrant les miracles par dizaines, tour à tour mage, idole, dieu païen puis figure christique, il contamine la faune, la flore et jusqu'à la population.

Au-delà des superbes visions que fait naître Ballard dans ce texte, de ses évocations merveilleuses des règnes animaux et végétaux, et de sa progression à la logique délicieusement onirique, l'intérêt majeur est ici, selon moi, la façon dont l'auteur va jouer sur la frontière ténue séparant rêve, réalité, illusion ou délire. On sait dès les premières pages que Blake a passé trop de temps sous l'eau, qu'il est nécessairement mort. de là, plusieurs lectures du texte, toutes pertinentes, s'entrecroisent. le personnage, bloqué dans cette petite ville dont il lui est impossible, physiquement, de s'échapper, est-il au purgatoire ? Son nouveau statut de dieu est-il une vision née de son esprit malade au seuil de la mort, le personnage créant, en une fraction de seconde, tout un univers basé sur ses propres idéaux et obsessions (vol, élévation, rupture totale avec la vie terrestre, avec ses réalités tant pratiques que morales), à partir de ce qu'il a pu apercevoir de cette communauté depuis l'appareil en vol ? S'agit-il, plus simplement, d'une véritable transfiguration : le personnage, miraculeusement ressuscité, atteint-il un degré de conscience supérieur qu'il va partager avec les habitants en devenant, littéralement, leur dieu ? Petit à petit, Ballard fait accepter au lecteur, de la même façon que la population accepte Blake, les visions oniriques comme un état de fait. Et la question de savoir si Blake est vivant ou non, si ces visions sont réelles ou non, s'efface. Au-delà de la métamorphose de cette communauté, le miracle dont il est question ici est la métamorphose du personnage. Celui qui pouvait tuer sans remords devient capable d'abandonner sa propre vie pour les autres sans regret. Que cela se produise dans une chronologie réelle, ou soit le fruit d'une vision idéale née au seuil de la mort, le sujet demeure la rédemption.

Le Rêveur illimité n'est pas à percevoir comme un îlot isolé dans l'oeuvre de l'auteur, qui ne s'y départ pas complètement de ses thématiques récurrentes. Il est aisé de dresser un parallèle entre le présent roman et IGH, ou encore La Course au paradis. Dans tous ces ouvrages Ballard créé une communauté, que celle-ci soit utopique ou dystopique, qui va se couper des règles admises par la société, et redéfinir, avec un nouveau mode de fonctionnement, un nouvel ordre moral. Ballard se base à chaque fois sur des idéaux différents qu'il s'amuse à pousser jusqu'à leur plus extrêmes limites. IGH, idéal technologique de modernité, de concision : une tour où il y a tout, de l'école au supermarché, fait naître une communauté autarcique jusqu'au cannibalisme ; l'île déserte de la Course au paradis, paradis naturel, suscite l'apparition d'une communauté écolo puis d'une forme extrême de matriarcat ; quant au Rêveur illimité, paru en 1979, il reprend des idéaux des années 60-70 : création d'une communauté isolée du monde, promiscuité, absence de tabous liés à la sexualité, communion avec la nature… La différence majeure est qu'il est plus malaisé de faire entrer ce roman dans la case dystopie. Pourtant, entre les lignes, il reste possible d'y voir une critique acerbe. La facilité avec laquelle la petite communauté de Shepperton embrasse la religion de ce dieu païen au passé trouble n'est-elle pas, en filigrane, une façon pour l'auteur de critiquer l'idolâtrie et la versatilité des foules ?

La lecture du Rêveur illimité est une expérience étrange, une recherche permanente du second degré, de la réponse à cette question qui à chaque page nous taraude : rêve, ou réalité ? La focalisation interne et la narration à la première personne nous égarent au point qu'on finit par perdre de vue cette interrogation. On accepte, comme les personnages du roman, de nouvelles règles, et avec elles de nouveaux critères moraux. Seule compte la métamorphose du protagoniste et son récit, celui d'un idéal.

Lien : https://mahautdavenel.wordpr..
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